Semaine 40

  • Roch Hachana
Editorial

L’ultime réponse

Au cours des âges, les hommes ont cherché, avec anxiété, les moyens de leur protection. Soucieux de leur survie, ils ont bâti de hautes murailles, châteaux et forteresses dont les ruines peuvent encore nous émouvoir quand monte le crépuscule. D’autres ont cru que la puissance serait leur meilleur rempart. Militairement, économiquement et politiquement, ils ont dominé le monde de leur temps et, parfois, les historiens égrènent le souvenir de leurs civilisations disparues. D’autres enfin ont eu, et quelquefois ont encore, la naïveté de croire que la violence des armes et le déchaînement des comportements barbares leur assureront la chimérique éternité à laquelle ils aspirent. Chacun sait que, même si un tel rêve vire souvent au cauchemar, il suffit que le jour se lève pour en dissiper les horreurs. Et immanquablement, il se lève.
C’est ailleurs que la peuple juif sait, depuis toujours, mettre sa confiance. Il a ainsi construit plus que d’orgueilleux palais, ou de redoutables royaumes. Il a choisi un chemin que personne ne peut lui disputer. C’est cette semaine qu’il le reprend avec la certitude que donne la mémoire d’une pratique ancienne et éternellement nouvelle. C’est cette semaine que les fragiles cabanes couvertes de feuillage, les Souccot, nous accueillent pour la fête. Conscients des bouleversements du dehors, au fait des menaces d’un monde incertain, nous savons que c’est d’abord notre lien avec D.ieu qui assure notre pérennité. Certes, les parois de la Soucca peuvent paraître fragiles et son toit guère à même de résister aux furieux assauts des ennemis de toute humanité, pourtant ils ont, avec nous, traversé les siècles et rien n’a jamais pu les abattre.
Peut-être est-ce là aussi le mystère de l’espérance, toujours fragile et toujours vigoureux, qu’est le manque de la civilisation. La Soucca est décidément un combat : celui des forces de la lumière contre celles de l’obscurité. Est-il dès lors étonnant que sa victoire jaillisse en mille éclats de joie lorsque Sim’hat Torah nous éclaire : la lumière est l’ultime réponse.

Etincelles de Machiah

Dix questions / réponses sur la résurrection des morts (XI)

Question : Comment sera la vie après la résurrection des morts?
Réponse : Dans le monde d’après la résurrection, la vie n’a plus le même sens matériel ; on n’y mange plus, n’y boit plus, la jalousie n’y existe plus etc. Les Justes “sont assis, leur couronne sur la tête et jouissent d’un rayonnement de la Présence Divine”. Ils ne retourneront jamais à la poussière mais vivront éternellement.
(d’après “Techouvot Oubiourim”, sec. 11)

Vivre avec la Paracha

Roch Hachana
Un verre de lait


Le 'Hassid Rabbi Chmouel Munkes voyageait pour passer Roch Hachana avec son Rabbi, Rabbi Chnéour Zalman de Liadi, quand il dut faire une halte pour passer Chabbat dans un petit village.
Peu après la fin de Chabbat, le village entier se retira tôt au lit. Quelques minutes avant minuit le chamach commença sa ronde avec une lanterne dans une main et un petit marteau dans l'autre, frappant aux volets de chaque maison et appelant: "Debout! Debout! Levez-vous pour le service du Créateur". Le village entier se leva, s'habilla rapidement et se précipita vers la synagogue brillamment éclairée pour les Sli'hot, la prière solennelle qui ouvre la période des Jours solennels.
Dans la maison de l'hôte de Rabbi Chmouël régnait une confusion extrême. Toute la famille était habillée et groupée devant la porte, les livres de prière à la main, prête à partir pour la synagogue ; mais leur hôte prestigieux n'était pas encore sorti de sa chambre. Enfin, le villageois frappa doucement à la porte de Rabbi Chmouel. Pas de réponse. Doucement, il pénétra dans la chambre. A son étonnement, il trouva le 'Hassid profondément endormi.
"Reb Chmouel, Reb Chmouel" appela-t-il, secouant son hôte pour le réveiller. "Venez vite. Sli'hot ".

La seule réponse de Rabbi Chmouel fut de s'enfouir encore plus profondément sous les couvertures.
"Vite, Reb Chmouel !, persista l'hôte, ils sont sur le point de commencer!"
"Commencer quoi?, demanda Reb Chmouel, apparemment ennuyé. C'est le milieu de la nuit. Pourquoi me réveillez-vous au milieu de la nuit ? "
"Que vous arrive-t-il? s'écria le villageois. Ce soir ce sont les Sli'hot! Vous êtes vraiment un bon juif ! Si je ne vous avais pas réveillé, vous auriez dormi pendant toutes les Sli'hot!"
"Les Sli'hot ?, demanda Reb Chmouel, que sont les Sli'hot?"
L'hôte de Rabbi Chmouel n'en croyait pas ses yeux. "Vous moquez-vous de moi? Ne savez-vous pas qu'aujourd'hui nous avons célébré le Chabbat qui précède Roch Hachana. Chaque homme, chaque femme, chaque enfant dans le village est actuellement à la synagogue et tremble d'impatience. Bientôt le Baal Tefilah va entamer les prières des Sli'hot et la communauté entière va éclater en sanglots, priant et suppliant D.ieu de leur accorder une bonne année…"
"Et c'est pour cela qu'il y a ce remue ménage? demanda Rabbi Chmouel. Vous allez prier à la synagogue? Qu'y a-t-il de si urgent qui ne peut attendre jusqu'au matin? Pourquoi priez-vous?"
"Il y a beaucoup de raisons pour prier Reb Chmouel, soupira le villageois. Je prie que la vache donne assez de lait pour garder mes enfants en bonne santé. Je prie que l'orge se vende à un bon prix au marché cette année, car bientôt j'aurai une fille à marier. Je prie pour que mon cheval ne se casse pas la patte, à D.ieu ne plaise, comme c'est arrivé l'an passé…"
"Je ne comprends pas, interrompit Rabbi Chmouel, depuis quand les grandes personnes se lèvent-elles au milieu de la nuit pour demander un peu de lait?".

Le villageois avait raison

Rabbi Chmouel voulait enseigner à son hôte que la préparation à Roch Hachana ne consiste pas seulement à prier D.ieu pour ses besoins matériels. Roch Hachana est le jour où nous proclamons la royauté de D.ieu sur l'univers et nous engageons à Lui obéir et Le servir. C'est un moment de Techouvah, de regrets de ses péchés et manquements et de résolutions pour ne jamais les répéter. Est-ce le moment de s'approcher de D.ieu avec la " liste des courses " pour nos besoins matériels ?
Et pourtant, un coup d'œil sur le livre de prières de Roch Hachana montre qu'il abonde de requêtes pour la vie, la santé et la subsistance. Car à Roch Hachana, l'énergie divine qui vitalise toute la Création est renouvelée pour une nouvelle année et chaque créature reçoit sa part de vie, de bonheur et de richesse. Le simple villageois avait raison : Roch Hachana est le moment de prier pour que la vache donne du lait et que l'orge se vende à un bon prix au marché.

Comment alors concilier la sainteté du jour et les aspects matérialistes d'une importante partie de ses prières?
Mais le concept même de la prière renferme le même paradoxe. La prière est la communion de l'âme avec le Créateur, son île spirituelle dans un jour qui pourrait être attaché à la matérialité. En fait, le mot hébreu pour " prière " : tefilah, signifie " attachement ", son sens étant de s'élever au-dessus de nos soucis courants et de nous attacher à notre source divine. Et pourtant l'essence de la prière, le fondement sur lequel repose son édifice spirituel, est notre demande au Tout Puissant de pourvoir à nos besoins quotidiens.
Le paradoxe de la prière se trouve encore décuplé quand viennent les prières de Roch Hachana. A Roch Hachana non seulement nous tenons-nous devant D.ieu, mais nous Le couronnons comme Roi, nous soumettant à Lui dans l'abnégation totale de notre ego et de tous ses désirs devant Sa volonté. Dès lors, quelle place y a-t-il en ce jour pour la notion de besoin personnel ?

Une résidence ici bas

L'homme seul possède la capacité de faire de D.ieu un roi car seul l'homme possède le libre-arbitre sans lequel le concept de "royauté" est vide de sens. En se soumettant librement à la souveraineté Divine, le jour de Roch Hachana, nous réveillons Son désir d'être roi et infusons une vitalité nouvelle à Son engagement dans l'ensemble de la création.
Le désir divin d'être roi est également décrit par nos Sages comme le désir d'une " résidence dans les royaumes inférieurs ", une résidence dans le monde matériel. Pourquoi le monde matériel ? Car ce n'est que là qu'existe le véritable choix. Le monde spirituel est par nature propulsé vers sa source Divine. Ainsi, notre service divin dans les ères spirituelles de notre vie est une service "obligatoire", conduit par les inclinations naturelles de notre être spirituel. Par ailleurs, quand nous invitons D.ieu dans notre existence physique, quand nous Le servons par des actes matériels et avec les objets de notre existence physique, nous choisissons réellement de nous soumettre à Lui, car une telle servitude va à l'encontre de chaque parcelle de notre nature physique.
Ainsi, celui qui considère comme "inconvenant" de supplier D.ieu pour du lait pour ses enfants à Roch Hachana rejette un des aspects fondamentaux de la souveraineté divine. Couronner D.ieu signifie L'accepter comme souverain dans tous les domaines de notre vie, y compris, et prioritairement, dans les domaines et les exigences les plus mondains. Cela signifie reconnaître notre complète dépendance devant Lui pas seulement pour notre nourriture spirituelle mais pour le morceau de pain qui soutient notre existence physique.

Dans cette perspective, nos besoins ne sont pas des besoins personnels et nos demandes ne sont pas égoïstes. Oui nous demandons de la nourriture, de la santé et de la richesse ; mais nous les demandons comme un sujet les requiert de son maître, comme un serviteur demandant à son maître les moyens pour mieux le servir. Nous demandons de l'argent pour observer la mitsva de charité, pour construire une Soukkah, nous demandons de l'argent pour maintenir le corps et l'âme unis pour que notre vie serve de " résidence dans les royaumes inférieurs " qui abrite Sa présence dans notre monde.

La prière de 'Hanna

La Haftara (lecture des Prophètes) du premier jour de Roch Hachana relate l'histoire de 'Hannah la mère du prophète Chmouel.
'Hannah l'épouse stérile de Elkanah se rendit à Chilo (où se tenait le Temple avant que Chlomo ne le construise à Jérusalem) pour prier pour un enfant.
Elle pria D.ieu, pleurant avec profusion. Et elle émit un vœu et dit : " O Maître des hôtes…Si Tu donnes à ta servante un enfant mâle, je le consacrerai à D.ieu tous les jours de sa vie… "

Eli, le Grand Prêtre de Chilo l'observait comme elle
priait profusément devant D.ieu…Seules ses lèvres remuaient, sa voix ne se faisait pas entendre.
Eli pensa qu'elle était ivre. Et il lui dit : "Combien de temps seras-tu ivre ! Evacue ton vin !" 'Hanna répliqua : "Non mon Maître je n'ai consommé ni vin ni boisson forte. J'ai déversé mon âme devant la face de D.ieu…"
Eli la bénit pour que D.ieu accorde sa requête. Cette année là 'Hanna donna naissance à un garçon qu'elle nomma Chmouel ("écouté de D.ieu"). Après l'avoir sevré, elle accomplit son vœu de le consacrer au service de D.ieu en le conduisant à Chilo où il fut élevé par Eli et les prêtres. Chmouel devint l'un des plus grands prophètes d'Israël.
La " prière de 'Hanna " comme s'appelle cette lecture est l'une des sources bibliques fondamentales pour le concept de la prière et nombre des lois de la prière en dérivent. En fait, le dialogue entre Eli et 'Hanna touche l'essence même de la prière et de la prière de Roch Hachana en particulier.
L'accusation d'Eli d'ivresse peut aussi se comprendre comme une critique pour ce qu'il vit comme une indulgence excessive de la part de 'Hanna pour ses désirs et ses besoins matériels. "Tu te tiens dans le lieu le plus saint de la terre, implique Eli, dans le lieu où la présence divine a choisi de résider. Est-ce le lieu propice pour prier pour des besoins personnels? Et si tu dois le faire, est-ce le lieu pour le faire avec "profusion", avec une telle ténacité et une telle passion?"
"Tu ne m'as pas comprise, répondit 'Hanna, "j'ai déversé mon âme devant la face de D.ieu ". je ne demande pas simplement un fils ; je demande un fils que "je puisse consacrer à D.ieu tous les jours de sa vie".
Nos Sages nous disent que Chmouel fut conçu à Roch Hachana. L'accomplissement de la prière de 'Hanna par D.ieu en ce jour nous encourage à réellement bénéficier de ce moment solennel du couronnement de D.ieu pour Le prier pour tous nos besoins quotidiens. Car en ce jour, nos besoins "personnels" et notre désir de servir notre Maître sont uniques et confondus.

Le Coin de la Halacha

Que fait-on à Souccot ?

« Dans des Souccot, vous habiterez durant sept jours... afin que vos générations sachent que c'est dans des Souccot que J'ai fait habiter les enfants d'Israël lorsque Je les ai fait sortir du pays d'Egypte ».
Chaque Juif prend ses repas dans une Souccah, une cabane recouverte de branchages, depuis mercredi soir 29 septembre 2004 jusqu'à Chémini-Atséret inclus, c'est-à-dire jeudi après-midi 7 octobre. On essaiera d'habituer les petits garçons à prendre aussi leurs repas dans la Souccah. Les femmes ne sont pas astreintes à ce commandement. Il est recommandé d'avoir des invités dans la Souccah.
Avant d'y manger du pain ou du gâteau, ou d'y boire du vin, on dira la bénédiction adéquate suivie de la bénédiction : « Barou'h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Léchève Bassoucca ». « Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné de résider dans la Souccah ».
Mercredi 29 septembre, on procédera au Erouv Tavchiline (littéralement : « Le mélange par les aliments ») : on préparera une Matsa ou un pain ainsi qu’un mets cuit (viande ou poisson ou œuf). On récitera la bénédiction : Barou'h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bemitsvotav Vétsivanou Al Mitsvat Erouv. (« Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné le commandement du « Erouv »). Puis on les mettra soigneusement de côté et on les consommera pendant un des repas de Chabbat.
Mercredi soir 29 septembre, après avoir mis quelques pièces à la Tsédaka (charité), à Paris avant 19 h 15, les femmes mariées allument au moins deux bougies (les jeunes filles et les petites filles allument une bougie) avec les bénédictions suivantes :
1) Barou'h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Ner Chèl Yom Tov. « Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné d’allumer les lumières de la fête ».
2) Barou'h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè'h Haolam Chéhé'héyanou Vékiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé. « Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a fait vivre et exister et parvenir à cette époque ».
Jeudi soir 30 septembre (à Paris après 20 h 19) elles allument les bougies avec les mêmes bénédictions à partir d’une bougie de 48 heures allumée avant la fête.
Vendredi 1er octobre, avant 19 h 11, elles allumeront comme d’habitude leurs bougies de Chabbat à partir de cette bougie de 48 heures avec la bénédiction :
Barou'h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Ner Chèl Chabbat Kodech. « Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné d’allumer les lumières du saint Chabbat ».
A partir de jeudi matin 30 septembre et jusqu'au mercredi 6 octobre inclus, on récite chaque jour la bénédiction sur les « quatre espèces » (cédrat, branche de palmier, feuilles de myrte et feuilles de saule) :
1) « Barou'h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al Netilat Loulav ». « Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné de prendre le « Loulav ».
La première fois, on ajoute : 2) « Barou'h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè'h Haolam Chéhé'héyanou Vékiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé ». « Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as fait vivre et exister et parvenir à cette époque ».
Tous les soirs de Souccot, on organise, si possible dans la rue, une fête joyeuse, Sim'hat Beth Hachoéva.

F. L.

De Recit de la Semaine

LA FETE DE L’ESPOIR DANS LE GHETTO DE KOVNO

Cela fait plus de 3300 ans que le peuple juif a été libéré d’Egypte. Durant quarante ans, il erra dans le désert où il érigea de fragiles cabanes appelées « Souccot ».
Les Juifs du monde entier commémorent ceci chaque année en prenant tous leurs repas durant sept jours dans des « Souccot ».
L’autre Mitsva de Souccot est de bénir ensemble les quatre espèces : le Loulav (branche de palmier), l’Ethrog (cédrat de Calabre), les Hadassim (branches de myrthe) et les Aravot (branches de saule).
Durant la Seconde Guerre Mondiale, l’armée nazie avait conquis la région de Kovno. Des centaines de milliers de familles juives furent parquées dans le ghetto dans des conditions effroyables de promiscuité et de famine.
Avec toutes les destructions et les bombardements alentour, les réfugiés du ghetto avaient à leur disposition bien trop de bois, suffisamment pour construire leurs Souccot. Mais comment se procureraient-ils les quatre espèces ?
Un événement inexplicable se produisit alors. Les Allemands savaient qu’à Vilna et Kovno se trouvaient des usines qui pourraient être mises à contribution pour l’effort de guerre. Ils obligèrent donc les Juifs à travailler comme esclaves pour produire les armes et les bombes. Les ouvriers devaient aussi réparer les machines.
Quelques jours avant Souccot 1943, les Juifs de Kovno se demandaient comment pourraient-il réciter la bénédiction « Chéhé’héyanou » (« Qui nous a fait vivre ») sur la Mitsva des Quatre Espèces : c’était la prière de la vie !
La loi stipule qu’on ne récite pas la bénédiction et qu’on ne secoue pas les Quatre Espèces quand Souccot tombe un Chabbat. Les Juifs de Kovno se trouvaient face à un dilemme. En effet, les ingénieurs juifs de Vilna se rendraient à Kovno pour réparer les machines : ils apporteraient avec eux les Quatre Espèces, mais seulement pour un jour : le Chabbat.
On demanda au Rav de Kovno si on pouvait, exceptionnellement, accomplir la Mitsva le Chabbat : Rav Avraham Dov Ber Kahane Shapiro ne put répondre à la question à cause de sa maladie. On se tourna alors vers Rav Ephraïm Oshry avec cette question qui ne pouvait être imaginée que dans cette période de cauchemar qu’était la Shoah.
Rav Oshry ne put trouver de jurisprudence à ce sujet dans les livres dont il disposait. Néanmoins il avait un élément de réponse : « Oui, il y a des occasions où on peut accomplir la Mitsva des Quatre Espèces même quand Souccot tombe un Chabbat ! »
Cependant il lui était interdit par la Torah de donner une permission explicite. Les gens avaient besoin de garder le moral mais un Rav ne pouvait trancher contrairement à la Torah. La décision reposait entre leurs mains.
Des milliers de Juifs se précipitèrent ce Chabbat vers l‘usine où on avait caché ces Quatre Espèces. Les yeux embués de larmes, ils récitèrent les deux bénédictions, en particulier celle de « Chéhé’héyanou », la prière par laquelle on remercie D.ieu d’avoir accordé la vie pour encore une journée : mais jusqu’à quand ?
Leurs larmes douces-amères avaient meilleur goût que les pommes douces trempées dans le miel à Roch Hachana. Les Juifs de Kovno étaient bien conscients que c’était sans doute la dernière fois qu’ils voyaient un Loulav et un Ethrog : ils savaient remercier D.ieu pour leur avoir donné cette dernière chance.

* * *

Quand Souccot arrive, je me demande toujours quelle est vraiment la loi. Nul ne semble connaître la réponse bien que Maïmonide stipule que, dans le Temple de Jérusalem, on accomplissait la Mitsva des Quatre Espèces même le Chabbat.
Mais je sais que je suis en admiration respectueuse devant la « Emouna », la foi qui animait ces Juifs qui ne voulaient renoncer à aucune Mitsva, même dans ces conditions inhumaines.
Alors ce Souccot, quand on vous proposera dans la rue, dans l’avion, dans la synagogue de prendre tout contre vous ces Quatre Espèces et de réciter les bénédictions adéquates, remerciez D.ieu de tout votre cœur pour la vie qu’Il vous accorde, pour avoir le privilège de vivre dans une époque où les Juifs sont libres de pratiquer leur religion.

Rav Eli Hecht – Californie
« Lehaim »
traduit par Feiga Lubecki