Samedi, 17 mars 2018

  • Vayikra
Editorial

 Le chemin de la Liberté

Cette semaine commence le joli mois de Nissan. Ce n’est pas simplement parce qu’il est qualifié de « mois du printemps » qu’il mérite un tel qualificatif et peu importe que la température attendue soit ou non au rendez-vous. Il est un joli mois car c’est celui de notre liberté. La fête de Pessa’h est déjà en perspective et, bien sûr, c’est spontanément à la libération historique du peuple juif d’Egypte que chacun pense. Pourtant, cette référence obligée ne peut suffire à la conscience car elle ne fera de tout cela qu’une sorte de réminiscence nostalgique, une ombre de gloire dont la trace subsiste par ce miracle que connaissent parfois les peuples anciens.

La liberté est d’abord une affaire de notre temps. En notre époque où tout semble fait pour ramener les hommes à un modèle unique, où une culture minoritaire paraît avoir quelques difficultés à être acceptée pour ce qu’elle est, y compris quand elle ne remet pas en cause les valeurs partagées par tous, la liberté est toujours à défendre. En ces jours où le chemin que la société propose est d’abord celui d’une consommation incessante de biens souvent superflus et parfois inutiles, dire qu’il existe une autre manière de vivre qui rend mieux compte de l’humain est encore l’objet d’un combat. C’est à tout cela qu’ouvre le mois de Nissan.

Car c’est d’abord en chacun que la liberté se construit. Prisonniers des habitudes sociales, entravés par les normes extérieures, nous pouvons cependant choisir d’être libres. Et cette liberté-là est précieuse car elle nous donne à nous élever au-dessus de toutes les limites imposées par les autres ou nous-mêmes. Elle nous permet de donner son plein sens au beau titre d’homme et d’assumer joyeusement ce que nous sommes. Au fil des siècles, nos ancêtres ont toujours rêvé de cette liberté. Ils ont parfois donné leur vie pour elle quand on voulait leur interdire d’être eux-mêmes. Nous sommes les dépositaires de cette longue histoire, le maillon d’aujourd’hui qui donne signification à la chaîne qu’il continue.

Il peut sans doute paraître plus simple de ne pas choisir l’espace ouvert au-devant de nous et de rester cantonner à une vision réduite de la vie. Mais, avec le mois de Nissan, un vent nouveau se lève et aucune barrière ne peut y résister. Quand la Liberté frappe à la porte, nul ne refuse de lui ouvrir.

Etincelles de Machiah

 Le don de l’âme

« Et l’âme qui offrira un sacrifice de Min’ha pour D.ieu… ». C’est ainsi que la Torah (Lév. 2 : 1) introduit la description de cette offrande particulière. On relève ici l’emploi du mot « âme » pour désigner la personne qui offre ce sacrifice alors que, habituellement, on dit simplement « l’homme ». Rachi explique la raison de ce choix : « Qui offre le sacrifice de Min’ha ? Le pauvre. D.ieu dit : ‘Je le considère comme s’il avait offert son âme’. »

Cette idée est précieuse pour chacun de nous. En ce temps d’exil, nous sommes « pauvres » spirituellement. Pourtant il nous appartient d’offrir à D.ieu ce que nous avons de plus important : nous-mêmes. Cette offrande doit d’abord être celle de notre « âme animale », cet élément qui nous permet de vivre et que nous devons lier à Lui. Puisque « c’est à cause de nos fautes que nous avons été exilés de notre terre », cette démarche nous amènera à la construction du troisième Temple.

(D’après Likoutei Si’hot, vol. 27, Vayikra 2)

Vivre avec la Paracha

 VAYIKRA

D.ieu appelle Moché depuis la Tente d’Assignation et lui communique les lois des Korbanot, offrandes animales et alimentaires apportées dans le Sanctuaire.

Elles incluent :

. « L’holocauste » (Ola), entièrement consacré à D.ieu, par un feu, en haut de l’autel.

. Cinq variétés d’  « offrandes alimentaires » (Min’ha), préparées avec de la farine fine, de l’huile d’olive et des encens.

. « L’offrande de paix » (Chelamim) dont la viande est consommée par celui qui apporte l’offrande, une fois que certaines parties en ont été brûlées sur l’autel et d’autres données aux Cohanim (prêtres).

. Les différents types de « sacrifices expiatoires », apportés pour expier les transgressions commises de façon accidentelle par le Grand-Prêtre, toute la communauté, le roi ou un Juif ordinaire.

. « L’offrande de culpabilité » (Acham) apportée par celui qui s’est approprié, de façon indue, un bien du Sanctuaire, qui a un doute d’avoir transgressé une interdiction divine ou qui a commis une « trahison contre D.ieu » par un faux serment pour escroquer un autre homme.

Le troisième livre de la Torah que nous entamons commence par les mots : « Vayikra èl Moché », « Et Il appela Moché».

Qui est « Il » ? Il s’agit du Saint béni soit-Il. Pourquoi le Nom de D.ieu n’est-il pas mentionné, comme nous pouvons le trouver dans la plupart des autres occurrences : «  Et D.ieu parla à Moché », « et D.ieu dit à Moché », etc. ?

Par ailleurs, autre sujet d’étonnement, la dernière lettre du mot Vayikra est écrite avec un petit Alèph. Pourquoi ?

Moché Rabbénou était humble et c’est pour cela qu’il est écrit « Vayikra èl Moché » avec un petit Alèph. »

Mais qu’est-ce que l’humilité ? Etre humble ne signifie pas être naïf. Etre humble ne signifie pas ne pas savoir ce que l’on est.

Pensez-vous que, lorsque Moché marchait parmi son peuple, il se recroquevillait sur lui-même et se cachait derrière des buissons ? Il avançait et le peuple se séparait pour lui frayer un chemin. Il marchait avec un maintien ferme et puissant. Il parlait fort.

Que signifie-t-il donc qu’il était l’homme « le plus humble à la surface de la terre » ? 

La caractéristique de l’humilité présente deux aspects. Tout d’abord, il s’agit de prendre conscience que la force que nous possédons nous a été attribuée par D.ieu et, d’autre part, d’être assez lucides pour réaliser que si quelqu’un d’autre que nous possédait nos propres qualités, il nous dépasserait et de loin.

En d’autres termes, Moché savait qu’il était le septième, depuis Avraham, que son père était Amram, le chef spirituel du Peuple juif, et il réalisait qu’il avait reçu un don, une bénédiction pour parler à D.ieu, face à face, pour aller dans les Cieux pendant cent vingt jours. Mais il savait également que si une autre personne avait été choisie à sa place, elle l’aurait dépassé et accompli bien plus que lui-même. C’est pourquoi il était le plus humble de tous les hommes de la terre. Il connaissait ses qualités, sa mission, ses responsabilités, le fait qu’il dût guider le peuple d’une main de fer, sans faillir, mais il traitait chacun sur un pied d’égalité. Il ne s’adressait pas aux autres avec condescendance ou avec mépris. Il était profondément convaincu qu’un autre à sa place aurait mieux fait que lui.

Mais cela ne l’empêchait pas de connaître son rôle et d’endosser ses responsabilités.

Tel est donc le sens du petit Aleph. Bien que Moché fût appelé par D.ieu Lui-même, il n’en restait pas moins empli d’humilité et conscient de son insignifiance.

Mais une autre question se soulève alors. Pourquoi est-ce spécifiquement le Alèph qui est rapetissé et pourquoi pas une autre lettre ? Quel est donc ici le message ?

Le Alèph représente le Alouph qui signifie « maître et chef ».

Etre humble quand on se compare à quelqu’un d’autre, qui n’est pas dans le même domaine que soi, est facile.

Lorsqu’il est écrit « Vayikra èl Moché avec un petit Alèph, cela signifie que dans le même domaine que lui, celui d’un maître, d’un chef (ce qu’évoque le Alèph), Moché était persuadé que d’autres, avec les mêmes chances et les mêmes opportunités que lui, auraient été bien supérieurs à lui.

A propos du terme Vayikra, Rachi explique que la terminologie implique ici un appel rempli d’amour.

D.ieu appelle Moché Rabbénou avec amour. Pourquoi cela ? Parce qu’il est humble. Parce qu’il permet aux autres de pénétrer dans son espace, parce qu’il permet à D.ieu de pénétrer dans son cœur.

Et cela va encore plus loin.

Il n’est pas dit : « Vayikra Hachem èl Moché, « Et D.ieu appela Moché », parce que le Nom Hachem, « D.ieu », est un terme défini. N’importe lequel des sept (ou dix) Noms de D.ieu représente un contrôle, une lumière ou une énergie spécifiques par lesquels D.ieu Se manifeste dans ce Nom ou dans cet attribut.

« Vayikra èl Moché » signifie que l’Essence de D.ieu, l’essence qui est au-dessus de tout nom, de toute configuration ou de tout attribut, s’adressa à Moché. Pourquoi ? Parce qu’il était petit à ses propres yeux. Il était humble.

Telle est la leçon de Vayikra. Chacun de nous détient en lui une étincelle de Moché Rabbénou, nous possédons donc un attribut de grandeur mais en même temps nous ne nous qualifions pas de grands. En effet, nous réalisons que nos talents, nos dons, nos qualités nous ont été donnés par D.ieu. 

Mais nous devons également prendre conscience que nous devons utiliser ces attributs au mieux, y investir toutes nos forces pour faire un monde meilleur, pour y faire descendre la Divinité.

Quand nous utilisons correctement ces talents, tout en réalisant qu’ils sont des présents de D.ieu, alors nous méritons « Vayikra èl Moché », un véritable appel d’amour de la part de l’Essence Divine.

Le Coin de la Halacha

 Quelles sont les lois et coutumes du mois de Nissan ?

- Le mois de Nissan commence cette année samedi 17 mars (Roch ‘Hodech).

- On évite de manger des Matsot jusqu’au soir du Séder (vendredi soir 30 mars).

- Dans toutes les communautés, on a coutume de ramasser de l’argent afin de pourvoir aux besoins des familles nécessiteuses pendant la fête. Cela s’appelle Maote ‘Hitine, l’argent pour la farine (nécessaire à la confection des Matsot). Le Rabbi a institué que chaque responsable communautaire s’efforce d’envoyer à ses fidèles dans le besoin des Matsot Chmourot (rondes, cuites à la main, spécialement surveillées depuis la moisson du blé), au moins pour les deux soirs du Séder.

- Tout le mois de Nissan, on ne récite pas la prière de Ta’hanoune (supplications).

- On ne jeûne pas durant le mois de Nissan (excepté les mariés avant la cérémonie).

- Après la prière du matin, les treize premiers jours du mois, on lit le sacrifice apporté par le Nassi du jour, en souvenir des sacrifices apportés par les princes des tribus le jour de l’inauguration du Michkane, le sanctuaire portatif dans le désert (Bamidbar – Nombres chapitre 7 et début du chapitre 8). Après la lecture des versets, on ajoute la courte prière de Yehi Ratsone imprimée dans le Siddour, le livre de prières.

- La première fois en Nissan qu’on voit des arbres fruitiers en fleurs, on récite la bénédiction Chélo ‘Hissère Beolamo 

(d’après Chéva’h Hamoadim – Rav Shmuel Hurwitz)

Le Recit de la Semaine

 La Mezouza

Quand Elsie emménagea dans son nouvel appartement, elle enleva la Mezouza de la porte d’entrée. L’ancien étui s’était cassé tandis qu’elle avait ôté les clous ; le parchemin contenant les paragraphes du Chema avait jauni et s’émietta dans sa main. Elle l’emballa dans un petit sac plastique et le fourra dans sa boîte à couture. Puis elle se mit à nettoyer sa nouvelle cuisine.

Shel son mari apprécia l’initiative. Il avait eu une dure journée et attendait avec impatience sa tasse de thé : « Enfin tu l’as fait ! Très bien ! » approuva-t-il tout en remuant le sucre dans la tasse et en tournant les pages du journal du soir.

- J’avais dit que je le ferai ! remarqua-t-elle calmement.

- Mais que va dire ta mère ?

- C’est ma maison, elle ne dira rien !

Elsie avait raison. Quand Madame Klein rendit visite à sa fille dans son nouvel appartement, elle avait les bras chargés de jouets pour sa petite-fille de quatre ans. Elle remarqua immédiatement la place toute en longueur laissée vide sur le linteau de la porte. Elle se pinça les lèvres pour ne rien dire qui puisse choquer sa fille et son gendre et appela la petite Myriam pour lui remettre son cadeau de ‘Hanouccah, une adorable poupée aux cheveux roux.

Deux ans plus tôt, Elsie et son mari avaient adhéré au Parti. Madame Klein s’était alors aussi pincé les lèvres ; elle savait ce que cela signifierait pour sa fille : plus de bougies de Chabbat et de ‘Hanouccah, plus de Matsot à Pessa’h, plus de livres de prières en hébreu dans la maison… Madame Klein avait élevé sa fille dans une atmosphère pratiquante mais tout ce qu’elle avait voulu lui transmettre serait perdu pour la génération suivante.

Elsie avait remarqué la peine sur le visage de sa mère et elle avait déclaré : « Nous sommes contre la religion ! C’est l’opium du peuple ! Nous sommes athées et nous ne croyons ni dans les mythes ni dans les miracles. Tu dois comprendre cela toi aussi ! »

Bien sûr, Madame Klein avait compris. Elle se tenait au courant de l’actualité puisqu’elle lisait religieusement chaque jour Der Tog ainsi que le English Star.

- Tes camarades du Parti ont aussi renoncé à leur religion ? demanda-t-elle en yiddish.

- Bien sûr ! Aucun d’entre eux ne va à l’église !

- Mais vous avez une fête le 25 décembre, j’ai vu la notice accrochée sur ton réfrigérateur !

- Ah mais cela, c’est une fête nationale, ce n’est plus une fête religieuse !

Madame Klein ne voyait pas la logique de cet argument mais, bien qu’elle fût profondément blessée, elle garda le silence. Elle avait vécu la faim et la guerre, la perte de sa famille et de ses amis, l’épidémie de typhus en Roumanie mais elle ne s’était jamais plainte, comme toutes les mamans juives.

- Écoute Maman, je sais que tu ne comprends pas les principes du Parti. Mais ce que nous souhaitons, c’est l’égalité, quelle que soit la race, la couleur ou la nationalité. La justice pour tous. Un jour, nous aurons un très beau monde, sans frontières, sans racisme. La religion et le nationalisme séparent les gens.

- Les Hindous feront partie de ce nouveau monde ?

- Bien sûr ! Pourquoi eux ?

- Mais que feront-ils de tous leurs temples ? (Madame Klein avait risqué une plaisanterie mais Elsie ne l’avait pas comprise).

- Maman ! Tu es vraiment trop démodée…

- Oui, je sais mais je t’aime, j’aime notre Myriam et jamais je ne te dirai comment agir. Dans notre Torah, la chose la plus importante, c’est le Chalom Bayit, la paix dans les foyers. Quant à la justice, c’est aussi dans le programme de notre Torah, tu l’avais appris à l’école juive…

Elsie hocha la tête avec impatience, sa mère ne comprenait rien…

- Au moins, ils viennent chez moi pour Chabbat et les fêtes et ils me laissent garder la petite quand ils ont leurs réunions du parti, même s’ils me supplient de ne pas lui raconter « mes histoires ridicules »… se consolait madame Klein. Et je continuerai de lui raconter la sortie d’Égypte et la mer qui s’est ouverte devant les Enfants d’Israël…

Les années passèrent et madame Klein succomba à la maladie. Elsie était restée à son chevet à l’hôpital et, par respect pour les autres membres de sa famille, avait observé les lois du deuil pendant les sept jours avec ses frères, sœur et tantes.

Le lendemain des Chiva, après que tous les visiteurs soient partis, Elsie s’était rendue au magasin de Judaïca et avait acheté une belle Mezouza dans un étui élégant fabriqué en Israël. Elle avait cloué la Mezouza en haut et en bas selon les instructions, avec la lettre Chine dorée à l’extérieur du parchemin. Elsie était contente de son œuvre.

- Mais qu’est-ce qui t’a pris ? demanda Shel, étonné.

- J’ai cloué une Mezouza. A l’intérieur le texte hébraïque est écrit sur du parchemin, c’est le Chema qui rappelle que D.ieu est Un.

- Mais pourquoi ?

- C’est pourtant simple, déclara tranquillement Elsie d’un ton ferme : quand l’âme de Maman viendra nous rendre visite depuis le Ciel pour nous bénir, il y aura une Mezouza à la porte et elle se sentira chez elle…

Aviva Ravel – www.chabad.org

traduite par Feiga Lubecki