Samedi, 25 novembre 2017

  • Vayétsé
Editorial

 A hauteur humaine

Il en va des mots, et des concepts qu’ils incarnent, comme de tout ce qui existe en ce monde : certains paraissent avoir vieilli. Peut-être du fait d’un trop long usage, tout se passe comme s’ils s’étaient prématurément usés. C’est ainsi que, dans la conscience individuelle, ils prennent peu à peu la teinte fanée de ces choses anciennes qui firent autrefois partie de la vie et pour lesquelles nous gardons une tendresse nostalgique, telles des fleurs séchées retrouvées entre les pages d’un livre et qui, tout à coup, réveillent des souvenirs précieux.

Notre temps en offre d’éclatantes illustrations. De fait, la morale constituait, il n’y a pas si longtemps, une référence absolue. Pour assurer à la société un développement harmonieux et à la civilisation un constant approfondissement, chacun était invité à ne pas s’en écarter au moins pour ce qui concernait l’affirmation publique. Cela semblait dépasser tout individualisme, comme le beau et nécessaire cadre d’un monde policé. Le comportement devait être « moral », les règles de conduites devaient renvoyer à ce code venu de si loin et qui semblait porter plus loin encore. Et tout cela, au-delà des divergences d’opinion ou des modes de vie dissemblables, régissait les rapports entre les hommes, les jugements portés sur soi-même, les choix individuels et collectifs. Puis, sans qu’on s’en rende vraiment compte, cette attitude a commencé à évoluer. Et, comme les mots accompagnent toujours ce type de changement, le vocabulaire a suivi. La morale, notion exigeante, est devenue l’objet de sourires parfois amusés et souvent ironiques.

Sans doute est-il utile de réfléchir à un bilan de tout cela, de se retourner sur le long – et si facile – chemin parcouru. Certes, en termes d’individualisation des choix de vie, cela a conduit à de réelles avancées. Mais est-il encore possible de s’interroger sur le sens de ces progrès ? N’avons-nous pas pour tâche de penser l’avenir afin qu’il soit à la hauteur des espérances humaines ? La révélation Divine au mont Sinaï, il y a quelque 3500 ans, n’a pas fait que nous enseigner des rites et des pratiques. Elle nous a donné une vision du monde. Osons le mot : elle nous a honorés d’une norme éternelle, créatrice de lois et de civilisations.

Il faut en être conscient en un temps oublieux : sans cette norme, c’est d’une base que le monde des hommes manque. Et si le fondement fait défaut, il est clair que l’édifice est fragile, presque en péril. Par nos actes, en cet encore début de mois de Kislev – mois de lumière – il nous appartient de le soutenir.

Etincelles de Machiah

 Une nouvelle Torah ?

Il nous est enseigné (Vayikra Rabba 13 : 3 paraphrasant Isaïe 51 : 4) qu’au temps de Machia’h « une nouvelle Torah sortira de Moi ». Il est pourtant clair que la Torah, Sagesse de D.ieu, ne changera jamais. Du reste, les textes soulignent : « Cette Torah-là ne sera jamais changée ». Dès lors, que signifie cette « nouvelle Torah » ?

Aujourd’hui, la Torah nous apparaît sous la forme de récits comme ceux de Lavan ou de Bilam. Lorsque le Machia’h viendra, les secrets cachés dans ces récits se dévoileront. Il se révèlera alors comment ce qui semble être de simples histoires parle profondément de D.ieu. C’est ce que signifie les mots « sortira de Moi » : il apparaîtra comment toute la Torah est une manière de dire la Divinité.

(d’après Kéter Chem Tov, sec. 84, 242)

Vivre avec la Paracha

 Vayétsé

Yaakov fuit Beer-Sheva et se dirige vers ‘Haran. En chemin, il se trouve face à « l’endroit », y dort et rêve d’une échelle qui relie le ciel et la terre, des anges y montent et y descendent. D.ieu lui apparaît et lui promet que la terre sur laquelle il se trouve sera sienne. Au matin, Yaakov fait de la pierre, sur laquelle il a reposé sa tête, un autel, priant pour qu’il devienne la Maison de D.ieu.

A ‘Haran, il va devenir le berger du troupeau de son oncle Lavan, pour obtenir la main de sa fille cadette, Ra’hel. Mais Lavan le trompe et le fait épouser sa fille aînée, Léa. Yaakov épouse Ra’hel une semaine plus tard en échange de sept années de travail supplémentaires.

Léa donne naissance à six garçons : Réouven, Chimone, Lévi, Yehouda, Issa’har et Zevouloun et à une fille, Dinah. Ra’hel, quant à elle, reste stérile. Elle offre alors à Yaakov d’épouser sa servante Bilha et deux fils lui naissent : Dan et Naphtali. Léah en fait de même avec sa servante Zilpa qui donne naissance à Gad et Acher. Finalement, D.ieu répond aux prières de Ra’hel et elle met au monde Yossef.

Yaakov veut quitter ‘Haran, après ces quatorze années, mais Lavan le persuade de rester en échange de troupeaux. Malgré les efforts de Lavan pour le tromper, Yaakov s’enrichit et part subrepticement au bout de six ans. Menacé par D.ieu s’il le poursuit, Lavan abandonne son intention de nuire et conclut une alliance avec Yaakov.

Yaakov se dirige vers la Terre Sainte où il est accueilli par des anges.

Une nuit horizontale
Yaakov se trouva face à « l’endroit » et il y passa la nuit, comme le soleil s’était couché… et il s’allongea à cet endroit (Beréchit 68 :11)

« Il s’allongea à cet endroit » …Dans cet endroit il s’allongea mais durant les quatorze années où il s’était caché dans la Maison (d’étude) de Evèr, il ne s’était pas couché, mais durant toutes les vingt années qu’il allait résider dans la maison de Lavan, il ne se coucherait pas… (Midrach Rabbah, Beréchit 68 :11)

« L’endroit » en question est le Mont Moriah, « la Maison de D.ieu et la Porte des Cieux », site de la création d’Adam, de la ligature d’Its’hak et futur emplacement du Temple où « D.ieu contractait Sa présence entre les piliers soutenant l’Arche ».

La nuit que Yaakov passa à cet « endroit » marquait l’intersection de deux périodes importantes de sa vie : les quatorze années qu’il venait de consacrer à l’étude de la Torah, caché dans la Maison de Evèr, et les vingt ans qu’il allait passer au service de Lavan, édifiant sa famille et sa fortune. Les quatorze premières années, il était si absorbé dans la quête de la Sagesse Divine, que pas une seule fois, il ne s’allongea pour dormir. Et durant les vingt années qui allaient suivre cette nuit, Yaakov allait servir Lavan si fidèlement que, dira-t-il, « le sommeil a fui mes yeux ».

Et pourtant, la nuit qu’il passa dans le lieu le plus saint du monde, Yaakov étendit son corps sur le sol et s’allongea pour dormir !

La tête, le cœur et le talon
Le monde matériel et le monde spirituel se reflètent. Chaque réalité spirituelle possède sa contrepartie dans un acte ou une loi de la nature et chaque phénomène physique est le miroir d’une vérité spirituelle.

L’être humain est unique en ce que, contrairement aux animaux, il marche debout. Le sens spirituel de ce phénomène est qu’alors que les instincts et la connaissance des animaux ne servent qu’à satisfaire leurs désirs ou leurs besoins, chez l’être humain, l’esprit dirige le cœur et les émotions, commandées par l’esprit, dictent le comportement du corps. Cela apparaît dans l’orientation verticale du corps de l’homme qui place la tête et le cœur au-dessus des organes et des membres fonctionnels, ce qui est tout le contraire de l’alignement horizontal de la plupart des animaux dont la tête et le cœur se trouvent quasiment au même niveau que le corps. Une personne qui laisserait son cœur dominer son intellect ou ses émotions obéir à ses appétits, réduirait sa vie intérieure à celle d’un animal. Il se peut qu’elle marche debout, mais spirituellement, elle mène une existence « horizontale ».

Telle est la signification profonde du fait qu’au cours de la période la plus spirituelle et de la période la plus matérielle de sa vie, Yaakov ne s’allongea pas. Les quatorze années qu’il passa dans l’étude de la Torah marquèrent le zénith de son accomplissement spirituel. Les vingt ans chez Lavan constituèrent un engagement intensif dans le monde matériel. Dans ces deux situations, Yaakov maintint résolument la position verticale de sa vie, dans laquelle son esprit dirigea son cœur et son corps et où les éléments émotionnels et fonctionnels de son être servirent sa compréhension et ses convictions.

Au-dessus de la matière et de l’esprit
Mais la vie possède également une vérité supérieure. Une vérité qui transcende la pensée, les sentiments et les actes. Une vérité devant laquelle la sensibilité la plus sublime et l’action la plus matérielle ont le même statut.

D.ieu n’est ni spirituel ni matériel, pas plus qu’il n’est plus proche du monde de l’esprit que de celui de l’expérience ou de l’action. D.ieu nous a donné les moyens de nous unir à Lui dans tous ces domaines : la sagesse de la Torah, la possibilité de vivre un amour et une crainte de Lui par la prière, les Mitsvot par lesquelles les actes physiques lient leurs acteurs mortels (nous) au Commandant Divin et établissent les priorités auxquelles chacun doit s’attacher dans la vie.

D.ieu a établi que l’esprit doit dominer le cœur et que le domaine spirituel doit occuper un espace « plus élevé » que le domaine matériel.

Mais, en dernier ressort, existe un niveau dans lequel tous sont pareillement insignifiants devant la vérité transcendante de D.ieu et tous ont pareillement un sens dans la mesure où chacun révèle un certain aspect de la vérité divine et remplit un certain rôle dans le dessein divin dans la Création.

Il y a un lieu dans l’univers où cette vérité essentielle est manifeste : le Mont Moriah à Jérusalem, site du Temple, l’endroit où D.ieu Se révèle à nous le plus profondément, et l’endroit de notre accomplissement ultime dans le service de D.ieu. Quand Yaakov parvint à cet endroit, il s’allongea. Car cette nuit-là, son esprit et son talon étaient emprunts de la même humilité et de la même Divinité.

Le Coin de la Halacha

 Quand doit-on se laver les mains ?

Voici les cas où on doit se laver les mains selon le Choul’hane Arou’h (Code de Lois Juives) :

1) Dès qu’on se réveille, avant même de se lever (grâce à une bassine et un Kéli (récipient) préparé la veille et déposé au pied du lit) – si on a dormi au moins une demi-heure.

2) Quand on sort des toilettes.

3) Quand on sort de la douche ou du bain, après s’être rhabillé.

4) Quand on s’est coupé même un seul ongle (des pieds ou des mains).

5) Quand on se coupe même un cheveu ou qu’on coupe les cheveux de quelqu’un d’autre.

6) Quand on sort du cimetière ou qu’on touche une personne sans vie.

7) Quand on subit une prise de sang.

Dans tous ces cas, on a l’usage de se laver les mains en versant de l’eau à partir d’un récipient, trois fois chaque main (droite gauche, droite gauche, droite gauche).

Voici les cas où on se lave les mains de façon simple, éventuellement avec du savon – pour des raisons d’hygiène :

- Quand on met ou on enlève les chaussures, si on les a touchées

- Quand on touche les parties du corps normalement couvertes

- Quand on se gratte la tête, le nez ou les oreilles

- Quand on touche un pou ou tout autre animal.

(d’après Chemirat Mitsvot Hayom – Rav Chimon Guedassi)

Le Recit de la Semaine

 Le défi du Chabbat

Je suis né à Westchester (New York), dans un environnement très assimilé. Enfants, nous n’avons reçu que très peu d’éducation juive.

En 1987, ma famille a traversé des moments difficiles et, un dimanche, Rav Reouven Flamer vint nous rendre visite – comme il le faisait systématiquement dans la ville dont il avait été nommé Chalia’h (émissaire attitré du Rabbi). En entendant mon père raconter un à un tous ses problèmes, il ne fit ni une ni deux et l’emmena directement au 770 Eastern Parkway, la synagogue quartier général du mouvement Loubavitch. Ce dimanche matin, comme il le faisait depuis quelques temps déjà, le Rabbi distribuait aux nombreux visiteurs qui sollicitaient sa bénédiction des billets d’un dollar à remettre à la Tsedaka (charité). Mon père fut très impressionné par l’ambiance générale régnant dans cette synagogue mais surtout par la personnalité du Rabbi. Cette première visite marqua pour lui le début d’un lent retour à un judaïsme plus engagé. Bien entendu, il nous encouragea à agir de même.

J’avais été comédien à Broadway ; après mes études universitaires, je m’installai à Los Angeles dans l’espoir de poursuivre une brillante carrière à Hollywood. Je me suis marié peu après. Mais ma carrière d’acteur ne décolla pas comme celle d’autres stars. Mon père m’encouragea à fréquenter le Beth ‘Habad à San Monica : effectivement, c’est autour de la table de Chabbat du regretté Rav Levitansky que nous avons, nous aussi, lentement amorcé un retour à une vie de Torah.

Après l’université, je m’inscrivis à l’école de journalisme de Columbia et j’obtins mon premier poste de présentateur des informations à Naples en Floride en 1997. A cette époque, il n’y avait là-bas qu’une synagogue du mouvement réformé et je décidai d’y suivre les offices des grandes fêtes. Ma femme et moi, nous y sommes allés le matin de Roch Hachana mais, à l’entrée, nous avons été « accueillis » par un gardien qui portait une machine dans laquelle nous étions supposés introduire nos cartes de paiement !

Il nous demanda si nous avions réservé nos places pour les offices : non, nous ne l’avions pas fait.

- Dans ce cas-là, pas de problème conclut-il avec un sourire. Vous pouvez acheter vos places maintenant pour 350 dollars chacun : cela inclut d’ailleurs vos places pour Yom Kippour ! Une très bonne affaire, je vous assure !

Mon salaire était vraiment très minime et je ne pouvais pas me permettre de débourser 700 dollars.

- Je ne possède pas cette somme ! répondis-je.

- Alors dans ce cas, je suis désolé mais vous ne pourrez pas prier ici aujourd’hui.

Nous avons rebroussé chemin, terriblement déçus et scandalisés. Mais, de fait, il s’avéra que ce fut la plus grande bénédiction ! Je me suis senti davantage attiré par le judaïsme et je décidai de déménager pour adhérer à une plus grande communauté dans laquelle je pourrais vraiment m’investir et étudier.

Il y avait cependant un problème : je travaillais pour une station de radio locale à Naples tandis que les grandes communautés juives évoluaient autour d’autres stations de radio beaucoup plus importantes, nationales même. Il était pratiquement impossible d’obtenir une place dans ces médias en très peu de temps : j’avais besoin… d’un miracle.

Mon père se rendit au Ohel, au cimetière juif Montefiore de Queens, là où est enterré le Rabbi et pria pour que j’obtienne cette place. Voici ce qu’il écrivit dans la lettre qu’il déposa sur le tombeau (et dont il m’envoya une copie) :

« Cher Rabbi. De grâce, bénissez mon fils Roshi pour qu’il trouve une place à la station de radio WSVN de Miami. En échange, Roshi s’engagera à ne pas travailler le Chabbat ».

WSVN est une des dix plus grandes stations de radio d’information des Etats-Unis et elle est située à dix minutes de la grande synagogue de Bal Harbour. Mon père tenait à ce que je m’installe à proximité d’une communauté adaptée à mon désir d’étudier sérieusement le judaïsme tout en pratiquant le métier que j’aimais passionnément. Il était si sûr que la bénédiction se réaliserait !

Quand je lus la lettre, je fus… scandalisé : comment accepter de ne pas travailler le Chabbat dans ma profession où il fallait être disponible à toute heure du jour, tous les jours ? Comment avait-il pu s’engager à ma place ? Je me calmais en estimant qu’il y avait autant de chances que je sois engagé que de gagner au gros lot : j’acceptai donc son défi.

Six semaines plus tard, on me contacta pour me proposer une place à WSVN ! C’était absolument incroyable : j’évoluai dans une petite station locale et, sans même que je l’ai sollicité, on m’invitait à rejoindre une équipe aussi prestigieuse ? J’ai tout de suite compris que la bénédiction du Rabbi se réalisait et que je devais accomplir ma part du « contrat ». Il y eut des moments difficiles mais je tins bon. De fait, après analyse de ma situation, je réalise que mon succès dans cette carrière depuis est dû à ma détermination à respecter le Chabbat, quelles que soient les circonstances. Il est évident que mon engagement religieux sans faille forçait la considération de mes collègues et de mes supérieurs.

Durant des années, mon épouse et moi-même avions désiré mettre au monde des enfants. Finalement nous avons, nous aussi, envoyé une lettre au Ohel pour demander une bénédiction d’avoir enfin des enfants, en bonne santé. Notre fils Yechaya est né, en bonne santé et adorable, neuf mois plus tard !

Le Rabbi continue de nous guider. Je crois fermement que, quand on s’attache à une personne méritante, des miracles peuvent arriver. Je l’ai constaté dans ma propre vie.

 

Rosh Lowe - A Chassidisher Derher – Tichri 5778

Traduit par Feiga Lubecki