Il y a environ 125 ans, un de mes ancêtres a acquis un volume de Michnayot publié à Zürich en Suisse en 1814. Entouré d’une reliure en cuir, il avait dû être impressionnant à sa sortie de l’imprimerie Gutenberg Press.

Ce qui est arrivé à ce livre pendant ses premières années restera sans doute à jamais un mystère. Ce que nous savons pourtant, c’est qu’à un moment donné il a été acheté par mon grand oncle Ben. Durant sa longue vie, mon grand-oncle exerça des centaines de métiers, y compris éleveur de vola i l les, mécanicien et négociant. Malheureusement la vie était dure et oncle Ben n’eut jamais l’occasion d’étudier le judaïsme. Ce volume qui avait sans doute été utilisé par d’innombrables individus dans sa vie finit par être déposé dans un placard sombre et poussiéreux, chez oncle Ben. Des guerres fauchèrent des millions de victimes, des présidents furent élus, l’état d’Israël fut créé, des enfants naquirent, des garçons célébrèrent leur Bar Mitsva et, durant tout ce temps, le livre patienta, sous une couche de poussière de plus en plus épaisse.

A l’âge de 89 ans, oncle Ben décéda, laissant derrière lui sa femme âgée de 69 ans et une modeste maison. Mon oncle Mel et mon père aidèrent admirablement ma tante à affronter cette épreuve et, par la suite, à déménager dans un appartement situé dans une résidence pour personnes âgées. Quand ils l’assistèrent pour emballer ses affaires, ils trouvèrent le magnifique livre trônant majestueusement dans le placard sombre et poussiéreux. Tout en soufflant littéralement sur la poussière, Papa examina soigneusement les pages. Mais tout était écrit en hébreu, il était incapable de le déchiffrer.

Comme ma grand-tante était souffrante, mon père ne pouvait lui poser beaucoup de questions au sujet du livre qu’il m’envoya, en me demandant d’en parler à mon rabbin. Quand je le reçus, je pensai d’abord qu’il s’agissait d’un ‘Houmach, un des cinq livres de la Torah. Mais après un examen plus approfondi, je réalisai qu’il ressemblait plutôt au texte que nous utilisons à la synagogue de Reno (Nevada nord ) quand nous étudions la Guemara (le Talmud).

Etant donné l’âge du livre et sa valeur certaine, j’avais hâte de le montrer à notre rabbin. Un jour plus tard, je reçus un e-mail du rabbin, informant notre communauté - petite mais en pleine expansion - qu’un des fidèles avait perdu sa mère et que nous devions nous réunir pour lui permettre de réciter le Kaddich en présence de dix hommes. Je profitai de l’occasion pour apporter le livre au Beth ‘Habad et le montrer à Rav Mendel Cunin avant le début de l’office du soir.

Rav Cunin sa i s it le livre avec beaucoup d’égards et, après avoir scruté la page de garde déclara que c’était un volume de Michnayot publié il y a au moins 191 ans. Il remarqua que les pages étaient d’ailleurs faites en tissu et non en papier et que, vu son âge, ce livre était très bien conservé.

Quelques minutes plus tard, l’office commença et on aida notre ami en deuil à accomplir le devoir d’un fils envers un parent disparu. A la fin de l’office, Rav Cunin nous apprit qu’il est de tradition d’étudier la Michna quand un membre de la communauté doit réciter le Kaddich de l’orphelin. “Nous allons utiliser le livre que Steve vient d’apporter ce soir, un livre qui a plus de 191 ans!” Il prit le livre qui avait été écrit juste quelques années après la signature de la Déclaration de l’Indépendance américaine et étudia un passage évoquant la recherche du ‘Hamets avant la fête de Pessa’h. Après ce discours, il ferma lentement le livre, l’embrassa comme le veut la coutume et me le rendit.

Le lendemain matin, nous nous sommes de nouveau réunis pour que notre ami puisse encore réciter le Kaddich. Avant l’office, nous avons bavardé ensemble en remarquant comme il était extraordinaire qu’après toutes ces années passées dans l’ombre, ce livre avait de nouveau été utilisé pour être une source d’étude et d’inspiration. Rav Cunin expliqua que les lettres hébraïques formant le mot “Michna” sont les mêmes que celles du mot “Nechama”, l’âme. Il ajouta que les deux, c’est-à-dire la Torah et l’âme sont éternelles.

Ses mots agirent en moi comme une décharge électrique: chaque chapitre, chaque ph rase, chaque mot, chaque lettre de la Torah sont véritablement éternel s. Les mots que nous lisons maintenant sont les mêmes que ceux que nos ancêtres étudièrent avec Moïse dans le désert du Sinaï. Transmis de génération en génération, ces mots qui apportent lumière et réconfort aux Juifs n’ont jamais changé et ne changeront jamais. C’est le fil d’Ariane qui a uni le peuple juif durant des siècles. Et maintenant, des dizaines d’années après son édition et, en tout cas, pour la première fois après trente ans de mise au placard, ces mots de sagesse ont de nouveau eu l’occasion d’illuminer les esprits et les âmes d’une communauté naissante dans “la plus grande des petites villes du monde” Reno, dans le Nevada.

Ce livre inestimable avait certainement inspiré de nombreuses personnes. Il avait été transmis de main à main, de parent en connaissance, il avait été transporté sur des milliers de kilomètres, il avait résidé dans de nombreuses villes entre Zürich et Reno. Et pourtant, plus de 191 ans après que l’encre ait caressé les pages en tissu de ce livre si spécial, il était arrivé juste à temps pour réconforter un orphelin en peine et ses amis dans la petite synagogue de Reno comme s’il y avait été prédestiné près de deux siècles auparavant.

Coïncidence? Je ne le pense pas!

Steve Hyatt – Le’haim
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Traduit par Feiga Lubecki