C’était juste après la Seconde Guerre mondiale. Une certaine famille ‘hassidique avait essayé, comme tant d’autres, de franchir le Rideau de Fer qui séparait l’Union Soviétique du reste de l’Europe.
En effet, des réfugiés polonais avaient eu la permission de retourner dans leur pays et de nombreux Juifs s’étaient procuré des faux papiers pour bénéficier de cette faveur.
Cependant, au dernier moment, cette famille avait été arrêtée par les autorités soviétiques et exilée au Sibérie ! Comme le mari avait des problèmes de santé, il lui fut consenti certains allègements puis, comme la femme était enceinte, elle eut droit elle aussi à des allègements.
Ils avaient déjà un fils, adolescent, puis la femme mit au monde un autre garçon. Grâce à leur obstination, ils parvinrent à le faire circoncire, ce qui n’était pas évident dans cet enfer glacé, peuplé uniquement de prisonniers et de leurs geôliers. Ils s’adaptèrent tant bien que mal à leurs conditions de vie en maintenant les lois et coutumes de la Torah.
La femme obtint un poste dans une caserne de pompiers : le travail n’était pas trop pénible physiquement, mais exigeait de nombreuses heures de présence.
Comme elle était payée à l’heure et que la subsistance de la famille dépendait d’elle, elle décida d’embaucher une jeune fille non-juive d’un village voisin qui s’occuperait du bébé. On lui enseigna à respecter les lois de la cacherout et du Chabbat et elle s’occupa consciencieusement de la bonne marche de la maison.
Par la suite, cette jeune fille modèle commença à s’intéresser au grand fils; la mère de famille s’en rendit compte mais, avant même qu’elle n’ait eu à prendre de décision à ce sujet, l’adolescent fut convoqué pour le service militaire. Ainsi le problème semblait réglé.
Mais la jeune fille n’en démordait pas.
Elle annonça à la maîtresse de maison qu’elle avait l’intention de se convertir au judaïsme, car elle admirait beaucoup le peuple juif etc… En entendant cela, la mère décida de décrire la situation dans une lettre à son grand fils et celui-ci, en accord avec sa mère, écrivit à la jeune fille une lettre dans laquelle il indiquait qu’il n’avait aucune intention de se marier avec elle, même si elle se convertissait et même si sa famille appréciait ses services: “Je suis un Juif pratiquant mais ce n’est pas ton cas; nous vivons dans deux mondes différents, incompatibles qui ne pourront jamais se rejoindre”.
Quand elle reçut cette lettre, tous ses projets s’écroulèrent, tout son avenir s’assombrit d’un coup. Elle décida alors de se venger de cette famille “ingrate” et concocta un plan atroce.
Elle demanda quelques jours de congé pour rendre visite à sa famille. Mais elle ne s’éloigna pas beaucoup: elle rôdait autour de la maison, surveillait la famille et, le jour où l’enfant se trouva seul dans la cour, elle s’approcha de lui et il la suivit en toute confiance puisqu’il la connaissait bien. Au début, elle pensa l’abandonner dans la forêt glacée mais, prise d’une sorte de pitié, elle décida de le ramener chez elle; elle prétendit devant sa mère que c’était son propre enfant, et la famille accepta cet enfant naturellement.
Quelques jours plus tard, elle retourna chez la famille juive: quel malheur ! L’enfant avait disparu et les parents, horriblement inquiets, l’avaient recherché partout: on aurait dit qu’il avait été englouti par la terre, il fut impossible de le retrouver. La jeune fille se joignit aux voisins qui fouillaient les alentours comme si elle ignorait tout du sort de l’enfant…
La mère pleura jour et nuit, refusant toute consolation. Chaque jour qui passait ne faisait qu’augmenter son angoisse, la plaie de son cœur était à vif. Le fils aîné termina son service militaire, rentra à la maison puis se maria avec une jeune fille juive de bonne famille.
Mais la mère, rongée par le chagrin, rendit l’âme à son Créateur bien avant son heure.
Par la suite, le père, le fils marié et la belle-fille réussirent à quitter l’Union Soviétique et s’installèrent en Israël. Le jeune couple eut plusieurs enfants.
Un jour, le père se rendit à New York et, en demandant une bénédiction au Rabbi, il mentionna également le nom de l’enfant qui avait disparu. Le Rabbi répondit de façon assez étrange : “Elle aura ce qu’elle mérite !”. Le père, troublé, ne pouvait comprendre ce que cela signifiait.

* * *

Loin de là, en Sibérie, la jeune fille non-juive se maria avec un non-Juif ; elle mit au monde une fille, puis divorça et continua d’élever l’enfant juif et sa propre fille. Le garçon grandit puis se maria. Sa “mère” éprouva un jour de vives douleurs et, persuadée par les médecins qu’elle n’avait plus que quelques jours à vivre, elle avoua à son “fils” : “Tu n’es pas mon fils, mais tu es juif et la preuve, c’est que tu es circoncis !”. Elle raconta ce qui s’était passé, s’excusa (!) mais insista sur le fait qu’elle avait toujours été correcte envers lui etc…
Bien entendu, cette révélation le stupéfia. Il entreprit des recherches pour retrouver sa véritable famille. Quand il comprit que son père s’était établi en Israël, il réussit, par des chemins détournés, à reprendre contact avec lui. On peut imaginer les sentiments du père en recevant la première lettre ! Il répondit qu’il était un Juif pratiquant et il lui envoya, par des canaux détournés, des livres sur le judaïsme. Le fils les lut avec avidité puis partit s’installer dans une grande ville où il se lia d’amitié avec des ‘Hassidim qui lui enseignèrent les bases du judaïsme. Sa femme, qui lui avait déjà donné deux filles, se convertit selon la Hala’ha mais par la suite, il s’avéra que cela avait été inutile puisque sa grand-mère maternelle était juive…
Avec l’ouverture des portes de la Russie, toute cette famille put s’installer en Israël : le père retrouva enfin son fils et la famille fut réunifiée.
Il est utile de préciser que la fille de l’ex-garde d’enfant qui avait suivi avec surprise puis intérêt le retour de son “frère” au judaïsme, décida de se convertir puis s’installa en Israël où elle se maria et fonda un foyer juif.
Par contre, la mère – contrairement aux pronostics des médecins – vit encore et, malgré ses efforts pour garder un lien avec sa fille et “son fils”, a été rejetée par l’un comme par l’autre…
“Elle aura ce qu’elle mérite !” avait dit le Rabbi…

Rav Betsalel Schiff
traduit par Feiga Lubecki