J’avais reçu une lettre de ma banque m’avertissant d’une possible fraude sur mon compte. J’ai donc appelé leur numéro de service et, après plusieurs essais infructueux («pour tel service, tapez 1 ; pour le vol de votre carte, tapez 2 etc.»), j’ai eu enfin le droit de parler à un véritable interlocuteur.
Celui-ci avait un fort accent étranger et j’ai d’abord pensé à exiger une personne parlant correctement l’anglais mais, par respect pour l’agent qui fournissait un effort pour parler ma langue, je ne le fis pas (après tout, ce n’est pas sa faute si nos entreprises choisissent de délocaliser leurs services !)
Il avait pratiquement réussi à me convaincre que tout était OK quand j’ai soudain réalisé qu’il avait mal enregistré les numéros de ma carte. Une fois de plus, il vérifia mon numéro de compte et mon identité puis, soudain, me demanda ce qu’était ‘Habad. Un peu interloqué par sa question, je me demandais ce qu’il avait besoin de savoir mais avant que j’ai pu ouvrir la bouche, il continua : «C’est une organisation juive, basée en Israël n’est-ce pas ?»
J’ajoutai quelques brèves explications sur le réseau international formé par le mouvement Loubavitch quand il me coupa la parole et déclara : «Je vis à Bombay, en Inde, juste à côté de Nariman House, là où était situé le Beth ‘Habad détruit par une attaque terroriste il y a deux ans !»
J’étais pétrifié. Je n’arrivais plus à parler.
Il s’excusa de m’avoir causé une telle émotion puis me demanda si j’avais connu Rav Holtzberg. J’expliquai que nous appartenions à la même organisation, même si nous ne nous étions pas vraiment connus. Un an avant la tragédie, Rav Gavriel Noa’h Holtzberg m’avait envoyé un e-mail pour m’informer qu’un couple de ma communauté lui avait rendu visite à Bombay et qu’il s’en était occupé aussi bien que possible. J’avais été touché par son geste, envers ce couple et envers moi.
L’employé du «Call Center» murmura : «Je m’appelle Maarane et j’ai bien connu le petit Moché (l’enfant du couple Holtzberg miraculeusement sauvé par sa nurse) et j’avais l’habitude de jouer au ballon avec lui. Il était tellement mignon ! J’ai aussi connu ses parents, et Sandra, sa nurse».
Ma voix tremblait. La raison de mon appel était déjà oubliée et nous avons longuement parlé. Il n’était pas marié, n’avait pas d’enfant et avait beaucoup apprécié la compagnie du petit Moché.
Nous avons pourtant bien dû retourner au «business» et il s’excusa pour son manque d’expérience. Lui aussi était encore sous le coup de l’émotion : je lui expliquai brièvement le concept de «Hachga’ha Pratit», le fait que D.ieu dirige la moindre de nos actions sur cette terre et je l’assurai qu’il avait déjà rendu ma journée digne d’être vécue. Quand nous avons raccroché, nous étions tous les deux en pleurs.
Pendant quelques minutes, je fus incapable de reprendre mes activités : un simple coup de téléphone pour régler un problème de carte de crédit et D.ieu avait choisi de m’envoyer un message qui me faisait trembler de tous mes membres...
Cette histoire m’était arrivée un vendredi après-midi. Je tapais quelques lignes à ce propos sur mon ordinateur et les envoyai en e-mail à quelques amis, comme moi émissaires du Rabbi un peu partout dans le monde. Ce genre de mail circule dans de nombreux réseaux et, avant que je ne le réalise, je reçus plusieurs commentaires chargés d’émotion.
J’eus envie de retrouver mon ancien interlocuteur pour les lui communiquer. Mais comment ? A chaque fois que j’appelais le numéro de service, je tombais (évidement !) sur un centre d’appels situé aux Etats-Unis. Après de nombreux appels infructueux, je fus mis en contact avec Bombay mais on m’informa poliment qu’il n’y avait personne du nom de Maarane dans le service. Quand j’expliquai le but de mon appel, le directeur montra une bonne volonté évidente et se mit à rechercher mon correspondant. Il venait justement de quitter le bâtiment ! Je l’avais raté de quelques minutes.
Mais je n’allais pas abandonner si vite. Durant le week-end du 4 juillet – fête nationale aux Etats-Unis – alors que la plupart des américains partent en forêt s’adonner aux joies du barbecue – mon appel fut reçu par Maarane lui-même !
Il me reconnut immédiatement et me raconta qu’après notre conversation, ses collègues de travail l’avaient forcé à prendre une pause tant il tremblait d’émotion. De fait, il habitait dans le bâtiment Mehta qui était situé pratiquement en face de Nariman House.
Le 24 novembre 2008, deux jours avant l’attentat, il avait rendu visite à Rav Gavriel Noa’h Holtzberg et lui avait demandé un don pour un événement culturel indien qui était prévu pour le 30 novembre : «Il m’a donné 500 roupies et me demanda de revenir deux jours plus tard car il n’avait plus assez d’argent sur lui. Ce fut la dernière fois que je les vis, lui le rabbin et le petit Moché !»
Il me donna son adresse mail, là où il avait retranscrit ses souvenirs des Holtzberg. Je lui racontai toutes les réactions que j’avais reçues par mail.
En réfléchissant à ce «petit miracle», je ne peux énumérer que quelques-uns des petits maillons de la chaîne : si j’avais réussi à taper le code de ma carte dès le premier essai ? Si j’avais été mis en correspondance avec une machine ? Si j’avais téléphoné une minute plus tôt et avais été mis en contact avec un centre située à Hawaï ? Si j’avais insisté pour parler avec un américain de souche ?
Et bien sûr, cette expérience me rappela combien Rav Gavriel Noa’h Holtzberg et sa Rabbanit Rivka avaient eu une existence extraordinaire, combien ils avaient touché les vies des Juifs et des non-Juifs autour d’eux. Voilà un parfait étranger qui, plus d’un an plus tard, se souvenait avec émotion de leur gentillesse et de leur générosité – tandis qu’il était assis dans son centre d’appels, répondant avec courtoisie mais ennui aux appels d’américains sans doute arrogants et désagréables.
Et comment pourrais-je jamais remercier le mystérieux voleur qui utilisa le numéro de ma carte pour acheter pour soixante-quinze dollars de musique sur iTunes ? Si seulement il savait qu’il avait été choisi par D.ieu Lui-même pour inspirer des gens vers le bien dans le monde entier !

Rav Yitzchak Sapochkinsky
Westlake Village, Californie
N’shei Chabad Newsletter
traduit par Feiga Lubecki