J’enseigne dans une Yechiva (école talmudique) dans le village de Kfar ‘Habad. Comme il est prescrit dans le Choul’hane Arou’h (code de lois juives), je m’efforce de toujours commencer mes cours à l’heure car, outre la nécessité de préserver la bonne marche de l’établissement, je réalise que chaque instant d’étude de la Torah est vital pour le monde entier.

Mais parfois il arrive des imprévus, je dirais même des défis...
Par exemple, un jour d’été particulièrement chaud, il y a trois ans, j’ai été convoqué pour témoigner à un procès dans la ville voisine de Ramlé.
Le procès était supposé commencer à 9 heures et ne prendre que 15 minutes. Comme il ne faut que 15 minutes pour arriver à Kfar ‘Habad et que mon cours ne commençait qu’à 11h 30, j’avais largement le temps.
Mais le prévenu tardait (finalement il ne se présenta pas du tout) et le juge décida de traiter les autres affaires : j’étais obligé d’attendre.
Le temps passait et j’étais sur les charbons ardents.
A 10h 30, je téléphonai à la Yechiva pour repousser le cours à 12h. A 11h, je rappelai pour le repousser à 12h 30. Peut-être allais-je être obligé de l’annuler complètement.
Finalement à 12h 30, le juge déclara la séance annulée et je me précipitai à l’extérieur pour prendre un taxi. Mais il n’y en avait pas. Je téléphonai à mes élèves pour annoncer que j’arriverais dans une demi-heure.
Dans mon angoisse, je remarquai un bus qui prenait ma direction : «Encore une place» ! annonçait le conducteur. Je courus et montai dans le bus qui démarra en trombe, comme tous les bus israéliens.
Eblouis par la lumière de la rue, mes yeux mirent quelques secondes à s’habituer à la relative pénombre du bus mais je le regrettais presque : dans le bus étaient assises une quinzaine de jeunes filles habillées... très légèrement. Heureusement, une des jeunes filles comprit ma gène et me proposa un siège à l’écart, ce qui convenait mieux à mes convictions et à mon «look».
Je collai mon visage contre la fenêtre pour admirer le paysage mais, en entendant bien malgré moi les bavardages des adolescentes, je me repris : «Bolton ! disait une petite voix à l’intérieur de moi. Tu es un ‘Hassid de Loubavitch oui ou non ? Tu dois répandre le judaïsme et non regarder le paysage!»
Je me tournai vers une des jeunes filles et lui tendis une Sidra de la semaine et un guide pour les fêtes qui approchaient. Soit elle les accepterait, soit elle les refuserait, soit elle les jetterait. Mais dès qu’elle les prit et aperçut la photo du Rabbi, elle s’exclama : «Ah, super! Très bien! C’est à propos des fêtes? Juste ce dont j’avais besoin!»
Du coup, les autres filles s’intéressèrent et je leur distribuai toutes les brochures dont je disposais. Elles se mirent à les lire puis les rangèrent dans leurs sacs.
L’une d’entre elles s’exclama alors : «Cela, c’est vraiment un grand cadeau pour notre réussite à l’examen !»
Je ne pus retenir ma curiosité : «Quel examen?»
- Oui ! Ce matin! Nous avons réussi le brevet!
- Et qu’allez-vous faire de vos deux mois de vacances ?
- Rien ! D’ailleurs, qu’y a-t-il à faire ? Nous irons à la plage, nous allons sortir...
- Et pourquoi ne vous rendriez-vous pas utiles dans votre quartier ? Vous pourriez rendre visite à des personnes âgées, lire des histoires à des enfants ou même juste bavarder avec des gens qui souffrent de la solitude... Un rien peut changer leur vie ! Je suis sûr que vous savez que de nombreux enfants ne reçoivent aucune attention de leurs parents et que de nombreuses personnes n’ont pas avec qui bavarder. Vous pourriez leur donner tellement de bonheur!
Mais elle hocha la tête comme pour dire non :
- Comment? Moi? Nous? Que pouvons-nous faire? Cela, c’est au Ministère de l’Education de s’en charger mais les fonctionnaires sont aussi en vacances.
- Exactement ! remarquai-je sous le coup d’une inspiration soudaine. Vous, les filles, vous êtes les seules à pouvoir le faire. D’abord parce que vous voyez que personne ne le fait. De plus, vous êtes encore jeunes, le monde ne vous a pas encore déçues. Quand les gens remarqueront la simplicité et la sincérité dans vos yeux, cela les rendra heureux! Le Rabbi de Loubavitch affirme qu’une seule personne, même un enfant, peut changer le monde entier!
Les autres filles se mêlèrent alors à la conversation :
- De quoi parle-t-il?
- Il prétend que nous pouvons agir dans notre quartier, en nous occupant d’enfants désœuvrées ou de personnes âgées qui ont besoin d’aide !
- C’est vrai! renchérit l’une d’entre elles. Plutôt se rendre utile que ne rien faire! Au fait, d’où venez-vous?
- De Kfar ‘Habad, répondis-je (dans une minute nous allions y arriver).
- Kfar ‘Habad? Super! J’y étais avec ma classe il y a cinq ans, avant Pessa’h. Quelle merveilleuse après-midi nous y avons passé! Je me souviens de tout : la fabrication des Matsot, la pièce de théâtre sur la sortie d’Egypte, le tablier en plastique et les mains dans la farine ! Vous savez, nous sommes toutes ici un peu pratiquantes, je veux dire : nous mangeons cachère et allumons une bougie avant Chabbat, n’est-ce pas ?
Toutes firent un signe de tête affirmatif.
- Vous voyez ? repris-je triomphalement. Vous avez été à Kfar ‘Habad seulement une heure, il y a déjà cinq ans et vous vous en souvenez comme d’une expérience merveilleuse ! Pensez à tous les gens que vous allez aider pendant vos vacances, combien ils seront heureux si vous les aidez un peu chaque jour !
- Oh, vous avez raison ! Nous avons eu de la chance de vous rencontrer ! C’est vraiment une très bonne idée !
Nous étions arrivés à Kfar ‘Habad, je pris congé des jeunes filles en leur souhaitant beaucoup de succès. Elles avaient maintenant un but dans la vie et moi j’avais constaté, une fois de plus, que même ces filles qui semblaient si peu intéressées par le judaïsme et sa façon de se conduire (et de s’habiller) étaient au fond convaincues de l’existence du bien sur terre.
Au fait... j’arrivai juste à l’heure pour le cours !

Rav Tuvia Bolton
www.ohrtmimim.org
traduit par Feiga Lubecki