En 1953, après la mort de Staline, les lois anti-religieuses s'étaient un peu assouplies en Union Soviétique. De nombreux Juifs espérèrent pouvoir alors pratiquer leur judaïsme plus facilement.

Nous étions trois amis du même âge, élevés dans nos familles hassidiques à Samarkand : Eleazar Gorelik, Aharon Makovitchki et moi-même. Au début de notre scolarité à l'école publique, nous n'avions qu'une seule institutrice : nos familles étaient parvenues avec elle à un arrangement tacite et elle fermait les yeux sur nos absences du samedi. Vers l'âge de neuf ans, nous avions une institutrice qui, en échange d'un " cadeau " conséquent, accepta elle aussi de ne pas " remarquer " ces absences hebdomadaires. D'ailleurs elle nous protégeait : une fois, lors d'une réunion de parents d'élèves, elle reprocha à certains d'entre eux le peu d'intérêt que leurs enfants manifestaient à l'égard de leurs études. Une des mères s'était alors levée et avait protesté : " Si vous exigez plus de participation en classe, vous devriez d'abord vous en prendre à ces trois Juifs qui manquent régulièrement les cours une fois par semaine ! " Pas désarçonnée du tout, l'institutrice répliqua : " Quand je vois l'excellence de leurs résultats et leurs notes très élevées, cela ne me dérangerait pas s'ils manquaient l'école même deux jours par semaine ! "
A l'âge de dix ans, nous avons constaté que la situation se dégradait. En effet, nous avions maintenant plusieurs professeurs et il était impossible de " s'arranger " avec tout un groupe. Néanmoins, nos parents avaient décidé que, quoi qu'il arrive, il était hors de question pour nous de nous rendre à l'école Chabbat. Notre école était située au n°21 de la rue principale de Samarkand. D'ailleurs dans cette même école étudiait celui qui est devenu, depuis, le président Ouzbek : Krimov.
C'était un bâtiment de deux étages avec de larges corridors : j'avais l'impression qu'il était énorme mais quand je l'ai revu dernièrement, il m'a semblé ridiculement petit et triste...
Sur le mur bordant les escaliers, un grand portrait de Staline, portant une petite fille, nous faisait face. Ainsi nous pouvions contempler plusieurs fois par jour le visage d'un des plus grands criminels de la terre, jouant au " petit père des peuples ". A côté se trouvait une grande carte représentant toutes les républiques composant l'Union Soviétique.
Un jour, lors d'une récréation, j'aperçus mon ami Eleazar Gorelik (qui est maintenant un des émissaires du Rabbi en Australie) qui étudiait soigneusement cette carte. Je lui demandais ce qu'il cherchait et il me répondit : " C'est évident, voyons ! Je recherche la ville de Loubavitch ! " Aharon et moi-même nous avions aussi très souvent entendu nos parents évoquer cette ville ; d'ailleurs mon grand-père Reb Yerachmiel Hadach avait été l'un des élèves de la Yechiva Tom'hei Tmimim de Loubavitch. Spontanément nous sommes donc restés avec lui plantés devant la carte, nous avons scruté chaque république car, dans notre naïveté, nous pensions que Loubavitch était sans doute une ville à peine plus petite que Moscou, la capitale. Mais nous n'avons pas réussi à la localiser et nous étions très déçus.
Un jour, un professeur de géographie qui passait par là, remarqua notre intérêt prolongé pour sa matière de prédilection. Il proposa de nous aider et nous emmena à la bibliothèque où il nous expliqua comment rechercher un nom dans un Atlas. Enfin nous avons réussi à localiser le village de Loubavitch quelque part en Russie Blanche à côté de Smolensk : mais combien nous étions déçus de n'apercevoir qu'un tout petit point sur la carte ! De plus, dans la légende, il n'y avait absolument aucun commentaire sur Loubavitch : ni usine, ni matières premières, ni monument remarquable... rien !
Comprenant notre déception, le professeur expliqua que, dans certaines villes, il y avait des trésors secrets, des richesses qui ne devaient pas figurer sur les cartes. Ainsi, en tant qu'ancien combattant, il savait qu'à Nikolaïev on construisait des sous-marins mais, pour des raisons de sécurité, cela n'était mentionné nulle part. " Qui sait, dit-il, peut-être qu'à Loubavitch, il y a quelque chose de secret... "
A Samarkand se trouvaient alors deux 'Hassidim remarquables : Reb Mendel et Reb Chmouel Noudel. Ils étaient déjà âgés, l'un n'entendait plus très bien et l'autre ne voyait plus très bien. Leur aspect était si impressionnant que les femmes boukariennes s'approchaient d'eux dans la rue et leur demandaient de bénir leurs enfants !
Reb Chmouel n'avait pas eu d'enfants et il s'était chargé de nous enseigner la Torah, à nous, les enfants des 'Hassidim ; nous lui avions alors tout naturellement raconté que nous avions réussi avec peine à localiser Loubavitch et que le professeur nous avait expliqué qu'il y avait sûrement là-bas une richesse secrète : quelle était-elle donc ?
Reb Chmouel Noudel réfléchit un moment puis murmura à notre oreille, comme s'il nous révélait un grand secret : " A Loubavitch, il y avait une mine d'or ! " Et il se tut. Nous, qui étions déjà de grands " savants ", nous lui avons demandé de préciser s'il s'agissait d'une mine souterraine ou d'une mine à ciel ouvert.
Il répondit : " A ciel ouvert ".
- Etait-elle située loin de la Yechiva ?
- Non ! Elle était juste à côté !
- Alors... ! Vous auriez pu devenir très riches !
- C'est vrai ! Vous avez raison, les enfants ! " Et Reb Chmouel se mit à pleurer. " Si seulement nous avions eu assez d'intelligence pour apprécier l'or qui se trouvait à Loubavitch ! Nous serions devenus très riches ! Mais celui qui avait compris, avait compris et les autres non. Mais chut, les enfants ! Sachez garder le secret et n'en parlez à personne ! "
Nous étions soulagés. Maintenant nous connaissions le " secret militaire " de Loubavitch et dans notre imagination naïve, ce minuscule village était devenu une ville puissante qui abritait des foules de 'Hassidim.
Reb Chmouel n'avait pas passé de diplôme de pédagogie ou de psychologie mais il avait étudié la 'Hassidout à Loubavitch et savait qu'elle valait bien davantage que des milliers de pièces d'or. Il savait comment parler de Loubavitch à des enfants qui ne s'y étaient jamais rendus et qui avaient grandi sous le régime communiste.
Maintenant que nous-mêmes, nous sommes des grands-pères, combien nous voudrions savoir apprécier la valeur de cette " mine d'or " qui se trouvait, secrètement, à Loubavitch !

Rav Betsalel Schiff
(Kfar 'Habad)
Traduit par Feiga Lubecki