Nourritures : le pain, sur la table, s'enfle de sa mie satisfaisante, promesse pour le mangeur qui s'en approche. Il y a toujours quelque danger, aux jours du quotidien (le Chabbat nous offre, lui, son élévation) à ce face-à-face avec la substance épanouie du pain. Toujours, le mangeur court le risque d'une satisfaction qui dépasse son objet. Le risque que la satiété délicieuse, née de toute la nourriture absorbée, ne soit rien d'autre que l'immédiate expression du Même à lui-même confirmée, dans la superbe indifférence, dans l'insouciant enfermement que confère la plénitude du ventre si bien nourri.

La Matsah étonne le regard de l'enfant. Elle est un aliment qui n'alimente pas tout à fait, un presque aliment et un presque autre chose, un pain de misère. De la Matsah à la pâte levée du pain, au 'Hametz, il y a toute la différence qui sépare le Hé du 'Hèth.

Ces deux mots sont composés, chacun, de trois lettres hébraïques. Dans l'un et l'autre, se retrouvent deux lettres identiques : le Mêm et le Tsadi. La troisième diffère.

'Hametz s'écrit avec un 'Hèth, Matsah avec un Hé. Les lettres 'Hèth et Hé sont formées de trois barres et sont ouvertes vers le bas. Leur unique différence est que le 'Hèth est complètement fermé sur trois côtés alors que le Hé comporte une seconde ouverture, en haut, dans son coin gauche.
La béance commune renvoie à la tentation d'en bas, la tentation de la faute. La fermeture du 'Hèth interdit alors toute échappatoire. L'ouverture de la partie supérieure du Hé désigne la voie de la " téchouvah ", du retour vers D.ieu comme une constante mise en question du moi, elle-même ouverture.

L'horizon ainsi dévoilé donne par lui-même à reconnaître l'Autre. On se souvient de la question de Tumus Rufus à Rabbi Akiva : " Si votre D.ieu aime les pauvres, pourquoi ne leur donne-t-Il pas ce dont ils ont besoin ? ".

C'est la question d'un homme arrivé à satiété, dans la boursouflure de son ego levé comme l'épaisse pâte du pain. La richesse qui le nourrit d'abondance et jusqu'à l'excès, richesse qui ne se justifie que d'elle-même, vaniteusement ignorante de D.ieu, signifie exclusion de l'Autre dans son infini besoin.

La Matsah et sa fragilité plane nous enseignent à Pessa'h, dans le temps même où nous devenons des hommes libres, la soumission et l'humilité, le chemin vers D.ieu et le chemin vers l'Autre.


B Ziegelman