Dans le livre de Zekharia, un passage décrit la rencontre entre un être humain et une armée d’anges. L’homme y est défini comme «un voyageur parmi les sédentaires.»
«Le voyageur» est l’appellation la plus adéquate pour l’espèce humaine qui ne trouve jamais le repos. D’autres créatures se déplacent également, de lieu en lieu, mais seules les migrations de l’homme sont motivées par le désir d’être ailleurs que là où il se trouve présentement. Contrairement aux souris, aux érables et aux anges qui se contentent d’être ce qu’ils sont, l’être humain est constamment sur le qui-vive, aspirant à aller ailleurs et de préférence dans un ailleurs inconnu jusqu’alors. 

Le problème est qu’il ne reste nulle part où aller.
Peu à peu, l’homme a conquis le monde. Un jour, l’un d’eux a réussi la conquête du pôle nord et un autre celle du pôle sud. Un autre être humain encore fut le premier à atteindre le sommet de l’Everest et enfin ce fut «le pas de géant» qui laissa sa première empreinte sur la lune.
Alors, que reste-t-il ? Un voyage vers une autre galaxie ? Une incursion dans le futur ? Ces destinations, si toutefois elles sont atteintes, satisferont-elles l’esprit toujours curieux du voyageur ?
Nous avons tous entendu l’histoire de ‘Haïm Yankel, ce pauvre villageois qui avait rêvé qu’un trésor était enfoui sous un pont de la ville de Cracovie. Il s’y rendit et, arrivé, il reconnut le pont de ses rêves. Le gardien, remarquant un rôdeur portant une pelle et montrant des intentions suspectes, prit le pauvre à partie. Ce dernier lui avoua la raison de sa présence. «Des rêves ! » s’exclama le gardien ironiquement. « Eh bien moi, la nuit dernière justement, j’ai rêvé que dans la maison de ‘Haïm Yankel, le colporteur du village de Usseldorf, un coffre de pièces d’or était enterré sous le mur derrière le fourneau. Et est-ce que je vais voyager jusqu’à Usseldorf pour briser le mur de la maison d’un pauvre hère ?». ‘Haïm Yankel se précipita sur le chemin du retour, démolit le mur qui se trouvait derrière le fourneau de sa maison et vécut heureux grâce à son trésor caché.
Une fois que tous les voyages ont été épuisés, après que toutes les quêtes ont été réalisées, il reste encore une frontière que peu de gens ont traversée, un territoire qu’encore moins de gens ont conquis : la frontière du moi. Nous parcourons la planète et au-delà, nous élaborons les plans de l’univers et de l’infrastructure de l’atome, à la quête de la moindre indication, du moindre signe qui apporte des éclaircissements, mais combien parmi nous sont entrés à l’intérieur de leur propre âme ?
Lé’h Le’ha, cet appel divin à Avraham qui lance et définit l’histoire juive, signifie littéralement : «va pour toi». «Va pour toi, ordonne D.ieu au premier Juif, pars de ta terre, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père, vers la terre que Je te désignerai.»
Quand résonna l’appel divin, Avraham pouvait regarder derrière lui et contempler une vie de découvertes et d’accomplissements sans précédents. Il était celui qui avait découvert la vérité du D.ieu Unique, celui qui avait affronté et vaincu le roi le plus puissant de son temps, celui qui avait bravé la fournaise ardente au nom de ses croyances et celui qui avait converti des milliers de gens à la foi et à la croyance monothéistes. Et à tout cela, il était arrivé par lui-même, sans maître, guide ou voix divine pour le diriger, avec rien d’autre que son immense esprit et sa quête passionnée de la vérité pour le conduire.
Et puis, dans sa soixante-quinzième année, survint le commandement divin : «Va pour toi-même !» Maintenant que tu as achevé tes explorations et atteint tes objectifs, tourne-toi vers l’intérieur et embarque-toi dans un voyage qui te conduira vers l’essence de ton propre être.»
Paradoxalement, plus notre voyage est intime et personnel et plus nous avons besoin d’être guidés et aidés.
Un bon sens de l’orientation peut nous guider à travers le circuit routier le plus labyrinthique. Un sens aigu de la communication peut négocier les politiques bureaucratiques les plus tortueuses. Les données et les connaissances emmagasinées dans notre cerveau facilitent notre poursuite de champs d’études nouveaux. Mais si nous sommes à la recherche d’une voie qui nous guide à l’intérieur de nous-mêmes, le savoir et les aptitudes d’une vie entière se trouvent soudain inefficaces. Nous sommes plongés dans l’obscurité, n’ayant pour seul recours que d’appeler notre Créateur : «D.ieu, qui suis-je ? », crions-nous, « D.ieu donne-moi la clé, dis-moi pourquoi Tu m’as créé !»
Ce paradoxe est implicite dans la première directive de la Torah, adressée au premier Juif. Quand Avraham reçoit le commandement : «Va pour toi-même», cet homme plein de ressources, autodidacte, il lui est enjoint de mettre de côté ses talents innés («ta terre»), la personnalité qu’il a développée pendant sept décades et demi d’interaction avec son environnement («ton lieu de naissance»), et la sagesse acquise et formulée par son esprit phénoménal («la maison de ton père») et de suivre «aveuglément» D.ieu «vers la terre que Je te donnerai».
Dans nos voyages extérieurs, notre savoir, nos talents et notre personnalité sont les outils qui nous permettent d’explorer le monde qui est en dehors de nous. Mais dans notre quête de notre moi profond, ces outils qui constituent un «moi» extérieur, superposé, cachent autant qu’ils révèlent, déforment en même temps qu’ils éclaircissent.
Nous les employons dans notre quête, nous n’en possédons pas d’autres. Mais si notre voyage doit nous conduire à la quintessence de notre être plutôt que vers une illusion, il faut qu’il soit guidé par Celui Qui nous a créés à Son image et a dessiné le projet de notre âme dans Sa Torah.