Lettre n° 125

Par la grâce de D.ieu,
Mercredi 16 Tévet 5704,

Au grand Rav, aux comportements vertueux, le Rav ...

Je vous salue et vous bénis,

J'ai bien reçu votre carte postale, en son temps, mais, après une longue recherche, je viens d'obtenir le Birkat Avraham, de Rabbi Avraham Abich, que vous citez dans votre courrier. C'est pour cela que ma réponse a été retardée jusqu'à maintenant et vous voudrez bien m'en excuser.

Comme vous me le demandez, je citerai les paroles du petit fils de l'auteur, qui figurent dans ce livre, pour répondre à la question posée:

On sait qu'il est une façon normale(1), meilleure(2) et la meilleure(3) d'allumer les bougies de 'Hanouka. Pourquoi une même distinction n'existe-t-elle pas pour les autres Mitsvot?

Voici ce qu'il dit à ce propos, les précisions entre parenthèses étant les miennes:

"Il nous faut comprendre pourquoi cette Mitsva (celle des lumières de 'Hanouka) diffère lorsque l'on veut la mettre en pratique de meilleure façon ou de la façon la meilleure. De plus, si l'on veut la mettre en pratique de façon meilleure et que l'on réunit, pour cela, de nombreux membres de la famille, il faudra allumer une bougie pour chacun et cela coûtera donc plus cher que si l'on allume de la meilleure façon, pour toute la famille.

(C'est l'avis des Tossafot et telle est la coutume Sfard(4). On peut, du reste, se demander pourquoi l'auteur fait mention d'une coutume qui va à l'encontre de celle qui était respectée dans les régions desquelles il est originaire, puisqu'il présidait le tribunal rabbinique de Seratsk(5). Mais, peut-être pense-t-il qu'il s'agit d'un simple usage...)

En fait, le décret(6) portait essentiellement sur le Chabbat. Parmi les Juifs, il y avait différentes opinions et certains souffraient du blasphème qui était alors perpétré. D'autres voulaient mener plus aisément leur existence matérielle. En conséquence, chacun vécut la victoire à sa manière. Et, lorsque le miracle fut établi, il fut donné à chacun de le célébrer à sa façon.

Les plus pures, qui accumulaient les Mitsvot allumèrent plusieurs bougies. (Il fait sans doute allusion ici à ceux qui allument de la meilleure façon). Il est clair que la Mitsva est plus belle lorsque toutes reposent sur une même raison. (Il faut comprendre ce que ces mots veulent dire). Les justes(7), en revanche, ne peuvent accumuler de nombreuses Mitsvot, ce qui leur est difficile. Ils parviennent cependant à mettre en éveil leur profonde crainte de D.ieu. Le juste en fait peu, mais de manière honorable. (Il semble qu'il s'agit là de la bougie que chacun allume).

C'est donc pour cette raison qu'il y a plusieurs façons de mettre en pratique cette Mitsva. Celui qui l'accomplit de la meilleure façon cherchera à améliorer la Mitsva elle-même. (Il faut, là encore, comprendre ce que ces mots veulent dire)."

On peut s'interroger, à ce propos:

A) D'après ce qui vient d'être dit, les purs, qui n'égalent cependant pas les justes, font la Mitsva de la meilleure façon et les justes uniquement d'une façon meilleure. Comment est-ce possible?

B) On sait que, lors de la sortie d'Egypte, il y avait aussi plusieurs groupes parmi les enfants d'Israël. Ainsi, il y en avait quatre, lors de la traversée de la Mer Rouge(8), comme le dit le Yerouchalmi. Ce fut également le cas lors du don de la Torah. Dès lors, quelle est la spécificité du miracle de 'Hanouka?

C) De manière plus subtile, on peut dire que la réponse donnée ne correspond pas à la question qui était posée. Car, la particularité des lumières de 'Hanouka n'est pas qu'il y ait trois manières de les allumer, une bougie par famille, une bougie par personne ou bien un nombre croissant chaque jour, alors que, pour les autres Mitsvot, il n'y en a que deux. Ainsi, on distingue un cédrat(9) de la taille d'un oeuf de celui qui est plus gros.

En effet, une telle interrogation n'est pas très forte:

1. Elle n'introduit pas une distinction qualitative dans la pratique de la Mitsva. Celle-ci est uniquement quantitative.

2. Les autres Mitsvot ont aussi plus de deux manières de les accomplir. Ainsi, on distingue un cédrat de la taille d'un oeuf, un autre qui est l'équivalent d'un oeuf plus un tiers et un troisième qui est encore plus gros. Et, l'huile des offrandes est, en ce sens, beaucoup plus proche des lumières de 'Hanouka. On distingue, en effet, la toute première huile, d'une qualité irréprochable, puis une seconde et l'on en définit ainsi cinq catégories.

De même, les quatre espèces sont également très proches des lumières de 'Hanouka. Ainsi, selon le Ramban, on accomplit cette Mitsva de la meilleure manière en prenant trois branches de myrte entières. Si ce n'est pas possible, on en prend trois qui sont coupées. Si même cela n'est pas possible, on en prend au moins une qui est coupée. Et le Rambam précise qu'il est préférable d'en avoir trois coupées plutôt qu'une seule, coupée également. Par ailleurs, il définit lui-même huit formes de Tsédaka.

En fait, la question sur la spécificité des lumières de 'Hanouka porte donc sur un changement qualitatif.

Pour toutes les autres Mitsvot, il y a la Mitsva proprement dite et une meilleure manière de la mettre en pratique. Ainsi, le cédrat qu'il ait la taille d'un oeuf plus un tiers ou bien qu'il soit plus gros que cela, permet bien d'accomplir la Mitsva de la meilleure manière. De même, pour l'huile des offrandes, on prendra la meilleure parmi celles dont on dispose, ainsi qu'il est dit "tout ce qui est précieux est pour D.ieu". Car, les différentes catégories d'huile permettent toutes de mettre en pratique les termes de ce verset.

Mais, une particularité est spécifique aux lumières de 'Hanouka. Outre la façon meilleure d'accomplir la Mitsva, il en est aussi une troisième, celle qui est la meilleure.

Si nos Sages avaient dit: "Ceux qui veulent appliquer la Mitsva de façon meilleure allumeront chacun une bougie. Mais, il est une manière supérieure de le faire, en nombre décroissant, selon Beth Chamaï, en nombre croissant, selon Beth Hillel", aucune objection n'aurait pu être soulevée contre une telle formulation(10), même si l'on conserve l'analyse du Birkat Avraham, justifiant pourquoi certains allument une seule bougie et d'autres, un plus grand nombre.

* * *

A mon humble avis, la réponse à la question posée, pourquoi est-ce précisément pour les lumières de 'Hanouka que l'on définit la façon la meilleure d'accomplir la Mitsva, pourra être déduite d'une analyse, brève car le temps manque pour la développer, de la signification d'un meilleur accomplissement et, de façon plus générale, d'un miracle. Nous comprendrons, de cette manière, les particularités des lumières de 'Hanouka.

Nos Sages se demandent pour quelle raison le premier paragraphe du Chema Israël est lu avant le second. Ils expliquent que l'on doit, dans un premier temps, se soumettre au joug divin puis, par la suite, à celui des Mitsvot. La récompense que l'on reçoit ainsi est spécifiée par le verset "si vous marchez dans Mes décrets, Je vous donnerai vos pluies en leur temps", de sorte que tous les comportements naturels soient dirigés dans le sens du bien.

Or, on peut constater empiriquement que celui qui agit par soumission et par crainte du maître, se contentera de ce qu'il est tenu de faire, puisqu'à titre personnel, il préférera l'inactivité.

A l'opposé, celui qui a affiné sa personnalité et maîtrisé son mauvais penchant, selon l'expression du Rambam, ne se contentera pas de mettre en pratique l'ordre qu'il reçoit. Il cherchera à le faire de la meilleure manière. Il accomplira, de la même façon possible, également ce qui n'est pas une obligation absolue.

Il en est de même pour la récompense des Mitsvot.

Nos Sages disent que le Saint béni soit-Il agit "mesure pour mesure"(11).

On ne donnera donc pas à un homme tout juste ce que mérite un bon comportement, de manière naturelle, en se limitant à la rétribution strictement nécessaire.

On dépassera, pour lui, la limite de cette obligation. Par exemple, si de manière naturelle, il devait être confronté à une certaine difficulté, il en sera préservé par un miracle surnaturel.

Ainsi, expliquent nos Sages, "le Saint béni soit-Il dit à Israël: Comment pourrais-je ne pas être clément pour les Juifs alors que J'ai écrit dans la Torah «tu mangeras, tu te rassasieras et tu béniras» et qu'ils récitent néanmoins cette bénédiction dès qu'ils ont consommé un aliment de la taille d'une olive ou d'un oeuf?».

Certes, il est dit, à la même référence, que "des miracles survenaient aux premières générations qui faisaient don d'eux-mêmes pour sanctifier le Nom de D.ieu".

Toutefois, le don de soi dont parle ce texte ne conduit pas nécessairement à la mort. Il a, plus exactement, pour effet de ne pas tenir compte de son propre honneur, de ses moyens financiers, même lorsque l'on n'est pas tenu de le faire. Et nos Sages rapportent que Rav Ada Bar Ahava pria pour que toute la communauté adopte un comportement miraculeux.

Les miracles de la sortie d'Egypte, de Pourim, des colonnes de nuée(12) eurent essentiellement pour but de protéger les enfants d'Israël d'un danger susceptible de se dresser ou même déjà présent.

C'est la raison pour laquelle on distingue, dans les pratiques commémorant ces miracles, le strict respect de la Mitsva et une meilleure manière de la mettre en pratique.

Le fondement de tous les Commandements est le Précepte "Je suis l'Eternel ton D.ieu qui t'ai fait quitter le pays de l'Egypte" et nos Sages expliquent: "Cette libération justifie que vous Me soyez assujettis". Ils en déduisent: "sois gracieux devant Moi, par la pratique des Mitsvot".

Tous ces éléments étaient effectivement réunis dans le miracle de 'Hanouka, dans lequel il y eut la victoire et le miracle au combat, lorsque "Tu plaças les vigoureux dans les mains de ceux qui étaient faibles".

Mais, à 'Hanouka, il y eut, en outre, le miracle de l'huile, qui n'avait pas pour but de les sauver d'un malheur, mais de leur faire la preuve du profond amour de D.ieu pour Israël. En effet, un miracle fut alors fait uniquement pour que les Juifs puissent mettre en pratique une Mitsva. C'est pour cela qu'une troisième dimension fut ajoutée dans ce cas, la manière la meilleure de mettre en pratique la Mitsva.

Ceci explique aussi pourquoi cette manière la meilleure d'accomplir la Mitsva consiste précisément à allumer des bougies, ce qui est directement lié au miracle de l'huile, et non à prononcer une prière ou une louange supplémentaire. En effet, la relation entre cet allumage et le miracle de l'huile est une évidence.

Pourquoi est-ce précisément à 'Hanouka que survint un tel miracle?

On peut le comprendre d'après l'explication selon laquelle les Grecs ne voulurent pas massacrer physiquement les Juifs. Ceux-ci vivaient sur leur terre et possédaient le Temple. En fait, les Grecs désiraient uniquement "leur faire oublier Ta Torah et leur faire transgresser les décrets de Ta Volonté". Selon l'expression de nos Sages, ils dirent aux Juifs: "Inscrivez... que le D.ieu d'Israël n'est pas le vôtre".

La guerre fut seulement la conséquence de cette exigence, ce qui permet de justifier la formulation du Rambam, au début des Lois de 'Hanouka: "Ils s'attaquèrent à leurs biens" uniquement.

C'est donc à cette époque que survint un miracle dont seule l'âme tira profit.

* * *

Tout ce qui vient d'être dit permet de répondre à la question posée, dans sa dimension la plus simple. Pour compléter l'analyse, je reproduirai également ce que j'ai trouvé, à ce propos, dans la 'Hassidout:

A) Le Kedouchat Lévi dit: "Le plaisir que procure chaque chose en est la dimension la plus fine. Ainsi, le sacrifice des encens offert à Yom Kippour était constitué des ingrédients les plus fins. En effet, Yom Kippour est lié au monde du plaisir. Ainsi, la spiritualité est la dimension la plus haute et le plaisir, la dimension la plus fine. Et, la controverse qui oppose Beth Hillel et Beth Chamaï, à propos des lumières de 'Hanouka, quant à la nécessité de les allumer en ordre croissant ou décroissant, tend, en fait, à déterminer quel est le plaisir le plus intense. Est-ce celui du corps, lié à l'accomplissement de la Mitsva et qui doit donc croître de jour en jour ou celui de la possibilité offerte de l'accomplir, qui diminue de jour en jour? Il est donc possible d'accomplir cette Mitsva de la façon la meilleure, qui est ici la dimension la plus fine et correspond au monde du plaisir".

On peut, cependant, s'interroger sur cette explication. Car, pourquoi n'y a-t-il pas, dans Yom Kippour, une façon la meilleure d'accomplir la Mitsva?

B) Le Sidour Maharid, du petit-fils du Tséma'h Tsédek, dit: "La Mitsva accomplie d'une meilleure façon est liée au système de Tikoun. Celle qui est mise en pratique de la façon la meilleure relève du monde d'Akoudim, plus élevé que Tohou et Tikoun à la fois".

Pourquoi cela concerne-t-il précisément 'Hanouka? La 'Hassidout souligne que les Grecs entrèrent alors dans le Sanctuaire et en souillèrent toutes les huiles, qui symbolisent la Sagesse du domaine de la Sainteté. Le miracle fut alors réalisé par une révélation transcendant l'enchaînement des mondes.

De fait, ces deux explications sont convergentes. Néanmoins, le Maharid établit la source de laquelle émane le miracle de 'Hanouka et les mondes spirituels qu'il traverse, alors que le Kedouchat Lévi définit leurs équivalences dans l'âme de l'homme et la révélation de 'Hanouka telle qu'elle apparaît après avoir déjà quitté sa source.

L'Admour Haémtsahi indique que la fiole d'huile découverte à l'époque symbolise le plaisir caché le plus profond, qui n'est pas encore révélé dans la Sagesse consciente. A ce stade, les manifestations émotionnelles de la volonté et du plaisir ne forment encore qu'une seule et même entité, entièrement potentielle. Or, telle est, de façon générale, la définition qui est donnée du monde d'Akoudim.

Mais, cette analyse doit encore être approfondie.

Avec ma bénédiction de Techouva immédiate, délivrance immédiate,

Notes

(1) Une bougie par famille, chaque jour de la fête.
(2) Une bougie par personne, chaque jour de la fête.
(3) Un nombre différent de bougie par famille, chaque jour de la fête, croissant selon Beth Hillel, décroissant selon Beth Chamaï. La Hala'ha est tranchée selon l'avis de Beth Hillel.
(4) Essentiellement celle des 'Hassidim des écoles polonaises.
(5) En Russie, où il est coutume que chaque membre de la famille en allume un nombre décroissant.
(6) Des Grecs, à l'époque de 'Hanouka.
(7) Qui semblent représenter ici un niveau inférieur à celui des purs. Le Rabbi, par la suite, s'interroge, à ce propos.
(8) Ceux qui voulaient retourner en Egypte, ceux qui voulaient faire la guerre aux Egyptiens, ceux qui voulaient sauter dans la mer et ceux qui conseillaient de prier.
(9) L'une des quatre espèces de Soukkot.
(10) Qui distingue bien les deux stades, la Mitsva proprement dite et les meilleures façons de la mettre en pratique.
(11) A la mesure de ce qui est accompli par l'homme.
(12) Qui accompagnaient les enfants d'Israël dans le désert.